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lune brillait cette nuit-là ; Sun pensa à la gloire que son père s’était acquise, aux conquêtes qu’il avait faites seul et sans appui sur la rive orientale du fleuve Kiang. « Maintenant, songeait-il, c’est mon tour ; mais il y a dix à parier contre un que je ne réussirai pas à m’élever si haut. » Et il se mit à sangloter.

Tout à coup un homme qui venait de dehors apparaît et lui dit en riant : « Sun, quel chagrin vous agite ? Jadis votre père m’a consulté, et bien souvent ; si quelque grave pensée vous occupe, pourquoi n’avez-vous pas recours à moi ? Voyons, délibérons ensemble ; quelle est la cause de vos larmes ? » Et Sun-Tsé reconnut dans celui qui lui parlait ainsi Tchu-Tchy (son surnom Kiun-Ly), l’ancien assesseur de son père[1].

« Ce qui me fait gémir, répondit Sun-Tsé en faisant asseoir le mandarin à ses côtés, c’est la crainte de ne pas continuer la carrière glorieuse que m’a tracée mon père. — Empruntez des soldats à Youen-Chu, répliqua Tchu-Tchy, allez dans le Kiang-Tong (à l’orient du fleuve), et là, sous prétexte de secourir le frère de notre mère (Ou-Tching), fondez un état indépendant ; car combattre sous un autre ce n’est pas là la carrière qui convient à un héros.

Tandis qu’ils s’entretenaient ainsi, un homme s’avança et dit : « Je sais ce que vous méditez ; j’ai sous moi une centaine de bons soldats, et me voilà prêt à vous donner un coup de collier. — Asseyez-vous ici, et dites-moi vos noms, » interrompit Sun-Tsé plein de joie. Cet homme se nommait Liu-Fan (son surnom Tseu-Hong). Né à Sy-Yang dans le Jou-Nan, il se faisait remarquer par la fraîcheur de son visage autant que par la grâce parfaite de toute sa personne. Sun-Tsé délibéra avec enthousiasme en compagnie de ces deux personnages distingués. « Quant à des troupes, dit Liu-Fan, je doute que Youen-Chu consente à vous en céder. — Oh ! s’écria Sun-Tsé, je possède

  1. Il était de Kou-Tchang dans le Tan-Yang. Autrefois il avait suivi Sun-Kien (père de Sun-Tsé) à Tchang-Chao, à Ling-Ling et à Kouay-Yang. Dans ces trois districts, il s’était acquis une grande renommée en battant les Bonnets-Jaunes ; après avoir défait Tong-Tcho, à Yang-Tching, il avait aidé Tao-Kien à se délivrer des rebelles qui l’assiégèrent. Voir p. 172, liv. II.