Page:Theodore Pavie - Histoire des trois royaumes vol 1, Duprat, 1845.djvu/325

Cette page a été validée par deux contributeurs.

pissement. « Liu-Pou s’est fait ouvrir les portes par trahison ! » criaient-ils. Tchang-Fey ordonne de préparer son cheval ; il s’arme à la hâte, part au galop avec sa pique énorme ; mais les soldats ennemis arrivent, et, comme il sortait de son hôtel, il se rencontre face à face avec Liu-Pou lui-même. Encore assoupi par l’ivresse, il ne peut soutenir le combat ; Liu-Pou, qui a reconnu ce guerrier redoutable, n’ose le poursuivre. Il le laisse sortir par la porte de l’est, entouré d’une dizaine d’officiers de son pays qui protègent sa fuite.

Le vieux Pao l’a vu passer suivi de ses quelques cavaliers ; il se lance à sa poursuite avec une centaine de soldats, mais il est battu et repoussé jusqu’au bord du fleuve par Fey qui, ayant distingué ses traits, se retourne sur lui, l’attaque avec fureur, et d’un coup de lance précipite dans les eaux le cavalier et le cheval. Alors il appelle ses soldats restés dans la ville ; ceux qui répondent à sa voix se retirent avec lui dans le Hoay-Nan.

Maître de la ville, Liu-Pou cherche à rassurer les habitants ; il met cent hommes autour de la demeure de Hiuen-Té pour la garder contre toute violence[1] ; personne ne put désormais y entrer. Pendant ce temps Fey, avec les quelques cavaliers qu’il avait ralliés, arrive à Hu-Y et se présente devant Hiuen-Té ; il annonce que Pao a livré les portes et que Liu-Pou s’est emparé de la ville.

Tout le monde pâlit dans le camp, mais Hiuen-Té dit avec un soupir : « Faut-il se réjouir de posséder et s’affliger de perdre ! — Où est la femme de notre frère aîné ? demanda Kouan-Kong. — Dans la ville, avec tout le reste de sa famille, « répond Fey abattu ; et comme Hiuen-Té gardait un morne silence, Kouan s’écria : « Que vous a-t-on dit quand vous avez voulu garder la ville ? quelles recommandations vous a faites notre frère ? Sa famille est captive, la capitale de sa province perdue. Votre mort ne peut expier un crime qui vous rend odieux au delà de la vie ; de quel front osez-vous reparaître devant Hiuen-Té ! »

  1. Ce sont là des sentiments fraternels, dit en note l’éditeur chinois. Ces deux personnages de caractère si opposé avaient été amenés par les circonstances à se donner le nom amical de frère, comme on l’a vu plus haut.