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désespérés. Au moment où il veut se frayer une route en avant, le tambour de nuit résonne ; les flèches pleuvent comme une averse. En vain il veut rétrograder, il ne lui reste aucune issue : « À moi, s’écrie-t-il, au secours ! »

Tout à coup, du milieu des cavaliers qui se pressent sur ses talons, un officier se fait jour ; c’est Tien-Wey[1] qui répond en brandissant deux lances d’un poids énorme : « Prince, n’ayez pas peur ! » Sautant à bas de son cheval, il enfonce en terre la plus longue de ses deux piques, et prenant la plus courte à la main : « Avertissez-moi, dit-il à ses soldats, quand l’ennemi ne sera plus qu’à dix pas de nous. »

Tête baissée, à pied, Tien-Wey se fraie une route au milieu d’une grêle de traits qui ne cessent de pleuvoir, et les troupes de Liu-Pou s’approchent au galop. « Ils ne sont plus qu’à dix pas, » s’écrient les soldats de Tien, et il répond : « Laissez-les venir à cinq. — Ils sont sur vous, » crient bientôt les mêmes voix. Alors, faisant voltiger sa lance, le héros frappe et tue à chaque coup quelqu’un des cavaliers qui le menacent ; d’un bras rapide il les renverse sans interruption, et déjà dix d’entre eux sont étendus à ses pieds. Toute la division ennemie est repoussée ; Tien-Wey revient sur ses pas, remonte à cheval, et armé cette fois de ses deux lances, il fait au milieu des fuyards une trouée sanglante. En vain les quatre lieutenants de Liu-Pou veulent arrêter sa marche, ils sont forcés de fuir ; à leur tour ils se retirent en déroute et Tsao-Tsao est sauvé.

Tous les généraux arrivent sur ses pas et reprennent la route en la cherchant dans les ténèbres, car il faisait déjà nuit. Derrière eux de nouveaux cris s’élèvent ; c’est Liu-Pou, monté sur son cheval célèbre, brandissant sa lance redoutée ; il apostrophe Tsao en le priant de ralentir sa fuite. Mais les troupes de ce dernier étaient épuisées de fatigues ; leurs chevaux harassés lançaient la fumée par les naseaux ; les fuyards se regardent, et chacun, ne songeant qu’à sauver sa vie, est loin de témoigner à son voisin le désir de combattre.

  1. De Ky-Ngo dans le Tchin-Liéou.