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« Général, lui dit-elle en pleurant, quoique je ne sois point la propre fille du ministre Wang-Yun, il me chérit comme une perle, comme un diamant qui serait tombé du ciel. Dès que je vous ai vu, dès que vous avez daigné promettre de m’épouser, j’ai cru voir s’accomplir le bonheur que je rêvais. Aurais-je pu penser que le premier ministre concevrait un passion criminelle, et qu’il déshonorerait votre épouse ! Toute ma douleur était de n’avoir pu trouver la mort. Mais puisque j’ai été assez heureuse pour vous rencontrer aujourd’hui, je veux vous prouver la vérité de mes sentiments. Mon corps a été souillé, il ne mérite plus d’appartenir à un héros. Il faut que je meure devant vous, pour éteindre les feux inutiles dont vous paraissez consumé. » Elle dit et saisit la balustrade, comme pour s’élancer dans l’étang des Nymphæas.

Liu-Pou l’arrête avec émotion, et l’embrassant en pleurant : « Il y a longtemps que je connais vos sentiments, lui dit-il ; tout ce qui m’afflige, c’est de ne pouvoir m’entretenir davantage avec vous. — Seigneur, répondit Tiao-Tchan, en saisissant sa main d’un air passionné, si votre servante ne peut, dans cette vie, devenir votre épouse, son unique vœu est de jouir de ce bonheur dans la vie suivante. — Et moi, si je ne puis maintenant vous avoir pour épouse, je ne mérite pas d’être appelé le héros du siècle.

— « Les jours que je passe loin de vous sont comme de longues années, reprit la jeune fille ; je vous en supplie, seigneur, ayez pitié de mon sort, et délivrez celle qui vous a voué son existence. — J’étais dans le palais impérial, et j’ai profité d’un moment favorable pour venir vous voir ; mais je crains que ce vieux brigand ne conçoive des soupçons. Il faut que je parte en toute hâte… » Et en parlant ainsi, Liu-Pou prend sa lance ; comme il se préparait à sortir : « Seigneur, lui dit Tiao-Tchan, en le retenant par ses vêtements, si vous craignez ainsi ce vieux scélérat, votre servante ne verra jamais luire le jour du bonheur ! — Permettez-moi de réfléchir un instant, pour trouver un moyen de vous posséder toute ma vie, » répliqua Liu-Pou en s’arrêtant. — « Dès mon enfance, j’aimais à entendre racon-