Page:Theodore Pavie - Histoire des trois royaumes vol 1, Duprat, 1845.djvu/146

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

meule. « Cet homme n’est pas mon parent[1], dit-il au mandarin Tchin-Kong ; son départ me laisse quelque doute ; mettons-nous aux aguets… » Tous les deux, à pas de loup, ils se glissent derrière la cabane ; des voix disaient : « Lions-le d’abord, nous l’égorgerons ensuite. — Si nous ne frappons pas les premiers, nous sommes perdus, fit Tsao-Tsao ! » Et, se précipitant le sabre en main, ils massacrent les huit personnes présentes, sans distinction d’âge ni de sexe ; mais en entrant dans la cuisine, que voient-ils ? un porc lié et prêt à être égorgé par le couteau.

« Vos soupçons vous ont fait tuer huit personnes innocentes ! dit Tchin-Kong… — À cheval, vite à cheval, » répliqua Tsao, et à peine avaient-ils fait un demi-mille, qu’ils aperçurent Liu-Pa-Ché trottant sur son âne avec deux cruches de vin pendues à la selle, et une charge de fruits à la main. « Mon sage neveu, cria-t-il à Tsao, pourquoi partir si vite ! — On veut nous arrêter, reprit celui-ci, et nous n’osons nous reposer ici plus longtemps. — Et moi qui ai fait tuer un animal de ma basse-cour pour ranimer vos forces par un bon repas ! dit Liu-Pa-Ché ; de grâce, restez au moins jusqu’au souper. »

Sans porter ses regards en arrière, Tsao marchait droit devant lui, à la rencontre de son hôte ; à quelques pas de là, il tire son glaive, et se détourne en disant à celui-ci : « Mon oncle, qui vient là ? » — Liu-Pa-Ché se détourne à son tour, et d’un coup de sabre Tsao le fait rouler aux pieds de son âne !… — « La première fois, s’écria Tchin-Kong, vous avez commis un meurtre par erreur ; mais maintenant qui vous a poussé à tuer un parent ? — Rendu chez lui, dit Tsao, il eût vu les siens égorgés, et l’affaire aurait eu des suites ; dans quels malheurs eussions-nous été enveloppés ! — Et vous l’avez tué exprès, de propos délibéré ; c’est le comble de l’iniquité ! » Tsao répliqua froidement : « J’aime mieux être ingrat envers les hommes de l’Empire que de leur apprendre à me tourner le dos. » Tchin ne répondit rien ; Tsao venait d’énoncer là une pen-

  1. C’est-à-dire qu’ils ne porte pas le même nom ; il n’est que frère adoptif du père de Tsao, qui, plus bas, l’appelle mon oncle par égard pour ce titre d’amitié.