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viens faire ici, je ne serais pas à mon aise. (Regardant le fond du cabinet.) C’est triste, ici. Il y a des robes qui doivent sentir bon. Mais j’ai le nez bouché… (Regardant la porte.) Heureusement qu’il me vient un peu de lumière. Ça m’égaie un peu. Quand cette lumière s’éteindra, je verrai que la baronne est couchée.

Pendant cette dernière phrase, la baronne s’est approchée du cabinet à robes. Elle ferme la porte, sur le nez d’Arsène.

LA BARONNE, allant jusqu’à la fenêtre et regardant au dehors.

Personne encore. Le fossé est sombre… Le champ en face est faiblement éclairé par la lune… Triste décor pour une première faute… Dans cinq minutes il sera ici… (Descendant à l’avant-scène.) C’est curieux, cet événement décisif ne produit en moi qu’une impression bien faible… Évidemment, ça me fait quelque chose de tromper mon mari. Mais quand je compare cette impression avec l’idée que je me faisais de la première faute ! La première faute ! Comme ces mots avaient une importance dans mes rêves de jeune fille ! C’était plus grave encore, plus imposant que la nuit nuptiale… Et ça va être encore plus toc, j’en ai peur… Mon mariage au moins s’était accompli au milieu d’un appareil solennel, et de gens qui me regardaient, qui m’enviaient… L’adultère manque décidément de musique et de spectateurs. Seul à seule, dans le silence d’une chambre, c’est d’un froid !… (Elle va à la fenêtre et revient à l’avant-scène.) Quand, cédant aux pressantes sollicitations de ce gentleman farmer, je lui ai permis de venir ce soir… c’est curieux ce que j’y tenais peu. Seulement mon mari s’absentait, il fallait profiter de l’occasion. L’occasion ! C’est bête ! Mais les raisonnements les plus sages échouaient contre cette idée fixe : mon mari s’en allait, il fallait le tromper. Le tromper ! c’était du nouveau, de l’inconnu. Ah ! tous les raisonnements ne pèsent pas lourd, quand ils vous conseillent