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faut voler là où qu’on a coutume de fréquenter, et là où votre présence n’a rien d’extraordinaire. Quand on voit un mal vêtu comme moi dans une aussi belle chambre, on pense tout de suite que sa place n’est pas ici… Mais quoi ? je me dis toujours ces choses-là quand c’est trop tard pour refuser… Quand on me propose une affaire, je ne réfléchis pas. Je vois l’occasion, je dis : faut pas la manquer, et je marche… C’est que la saison est tellement dure ! (S’asseyant sur le fauteuil, et consultant un petit calepin.) Quand je pense à ce que j’ai volé depuis un mois : quatre… cinq… six… poules… et une brouette cassée. Ma plus belle affaire a été le porte-monnaie d’une dame, où il n’y avait qu’une pièce de quarante sous sans couronne et un bout de taffetas gommé. Le mois dernier avait été meilleur, à cause de l’incendie de l’épicerie : j’ai sauvé une caisse de chocolat… Sans parler d’un vieux monsieur que j’ai retiré des flammes à mon second voyage. Ce qui m’a fait une petite prime de quinze francs… (Il s’assoit.) Il fait bon dans ce fauteuil. Si j’avais un fauteuil comme ça, et du pain et du fromage à discrétion, j’en connais un qui se retirerait des affaires.

On entend du bruit. Arsène se lève précipitamment. Entre la bonne.
LA BONNE.

Voilà. Pas de danger. Madame ne sera guère ici avant une demi-heure. Elle est allée reconduire monsieur jusqu’au tournant du parc.

ARSÈNE.

Il part à Paris, votre monsieur ?

LA BONNE.

Mais oui. C’est pour ça qu’il fallait profiter de cette nuit-là. C’est la première nuit qu’il s’absente. Depuis son mariage, il n’a pas découché.