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qu’elle n’est pas sentimentale. Elle peut dire simplement qu’elle n’a pas encore eu l’occasion de le constater. Je vous connais mieux que vous… Je suis sûr que vous avez l’âme tendre et délicate… Et je suis sûr que vous êtes une honnête femme…

LÉA.

Dites donc… dites donc. Ce n’est pas de ceci qu’il doit être question. C’est de vous.

DOUBLET, ardemment.

Vous êtes bien plus intéressante que moi. Mon affaire à moi importe peu, au fond. J’aime autant ne pas être condamné, mais si je suis condamné, le beau malheur ! (Accablé.) Qu’est-ce que j’ai à faire dans la vie ? Je n’ai que trente-deux ans, mais je suis un homme fini. La vie est insipide, sans amour. Et je suis fait pour aimer. (Il pleure.) J’ai honte de pleurer devant vous, parce que vous ne me comprenez peut-être pas.

LÉA, un peu émue.

J’ai beau vous connaître à peine. Je vous assure que je suis très peinée.

DOUBLET.

Merci. C’est ce qu’il me fallait… Ça va mieux ! Voilà l’utilité d’un véritable avocat ! C’est une assistance morale… Vous n’avez peut-être pas encore le talent de maître Barboux, ni celui de maître Henri Robert, mais jamais leur présence ne m’aurait fait autant de bien que la vôtre. J’aime mieux votre toute petite main sur mon front, que leur large et puissante main. Mais c’est ce que la femme a de divin ! (Plaidant.) Voilà une femme — je parle de vous — voulez-vous me rappeler votre nom… mademoiselle Adalbert… enfin, peu importe le nom, — voilà une femme qui a mené une existence austère, malgré son aimable visage, l’éclat de ses yeux et de son teint, la grâce adorable de sa bouche…