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scandale épouvantable, en sortant de l’église. Un oncle de ma fiancée, qui avait reçu une lettre anonyme, est venu faire du bruit. On a tout découvert. Mon beau-père a été très mécontent d’avoir pour gendre un bigame. Il s’est conduit avec moi brutalement ; il m’a fait arrêter tout de suite, à la sortie de l’église, sans même me permettre de passer la nuit avec sa fille. Le mariage a été cassé, et moi, je vais être condamné. Et cependant je vous jure que je n’avais pas fait une affaire de spéculation. Je n’avais pas encore touché la dot, qui était des plus modestes. Et j’avais payé d’avance à moi tout seul le lunch et les voitures de noces. Dame, tout ça s’est trouvé perdu ! On ne pense pas à tous les frais que nous avons, nous autres bigames. Deux mariages, vous savez, ça vaut un incendie. Voilà tout ce que j’avais à vous expliquer. (Il la regarde.) Hé, mais dites donc ?

LÉA.

Qu’est-ce qu’il y a, monsieur ?

DOUBLET.

Me permettez-vous de vous dire que vous êtes très jolie ?

LÉA, gênée.

Parlons, si vous le voulez bien, de votre procès.

DOUBLET.

Et quand vous êtes comme ça, sérieuse, vous êtes encore plus gentille.

LÉA.

Votre cas me semble assez grave. Le crime de bigamie, prévu par l’article 340 du Code pénal, entraîne une condamnation aux travaux forcés à temps.

DOUBLET.

Qu’elle est gentille !