Page:Theatre de Tristan Bernard 1.djvu/140

Cette page a été validée par deux contributeurs.

DOUBLET.

C’est dur pourtant de se trouver emprisonné, quand on n’est pas coupable !

LE GEÔLIER.

Comment ? Vous n’êtes pas coupable ? Et vous vous plaignez ! Vous êtes une victime, vous avez cette satisfaction de pouvoir maudire l’injustice des hommes et vous vous trouvez malheureux ? Ah ! si vous étiez coupable, je comprendrais ! Votre tranquillité serait troublée par un remords… le remords de vous être laissé pincer ! Allons, vous n’êtes pas à plaindre ! Voulez-vous des livres ? Voulez-vous une petite araignée ? L’administration nous oblige, à cause de l’hygiène, à balayer toutes les toiles. Mais nous avons, dans de petites boîtes, des araignées à l’usage des captifs. Voulez-vous causer avec d’autres prisonniers ? Nous avons ici dans ce couloir des gens qui n’ont rien de banal : le faussaire d’en face, et le petit incendiaire du coin. Qu’est-ce que vous êtes, vous ?

DOUBLET.

Je suis bigame.

LE GEÔLIER.

Hé ! ce n’est pas mal, ça ! J’ai connu de très chics bigames. Il y avait même ici un monsieur qui s’était marié six fois, chaque fois avec cent mille francs de dot.

DOUBLET.

Moi, ce n’est pas ça. Je n’en ai jamais fait une affaire de spéculation. Je n’ai à mon actif que des mariages d’amour. Je suis un garçon foncièrement honnête, incapable de flirter avec une jeune fille autrement que pour le bon motif. Chaque fois que j’aime, j’épouse. J’ai aimé deux fois, je me suis marié deux fois.

LE GEÔLIER.

Seulement la loi n’admet pas ça.