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LE GEÔLIER.

Parce que vous n’êtes pas raisonnable. Ce n’est pas la prison qui est triste, c’est vous. Moi qui suis ici depuis plus longtemps que vous et qui y resterai encore après votre départ, je m’y trouve bien. Et pourtant j’ai plus de travail et de responsabilité que vous.

DOUBLET.

Mais vous pouvez sortir quand vous voulez.

LE GEÔLIER.

Aussi je ne sors jamais. Dites-vous une bonne fois que si vous pouviez sortir, vous ne sortiriez pas. Alors, où est la privation ? Qu’est-ce que vous faisiez avant d’être ici ?

DOUBLET.

Rien, je vivais de mes rentes. Je faisais de la musique, de la peinture, je montais à cheval, j’allais à la chasse.

LE GEÔLIER.

Ça vous amusait ?

DOUBLET.

Pas toujours.

LE GEÔLIER.

Et les raseurs dont vous ne pouviez vous débarrasser ! Ici vous n’avez que moi. Et si je vous barbe, c’est bien simple, vous n’avez qu’un signe à faire… Est-ce que vous n’aviez pas de remords d’être un oisif ?

DOUBLET.

Si fait, je suis fils et petit-fils de travailleurs. Je me levais tard ; mais je m’en voulais.

LE GEÔLIER.

Tandis qu’ici vous n’avez plus aucun remords. Vous voyez que vous avez bien tort d’être triste.