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savait revêtir les idées les plus étranges d’on ne sait quel air ou quel prestige de vraisemblance, il aura été et sans doute il demeurera l’hiérophante du Symbolisme, comme Baudelaire en est le précurseur ; et je doute, après cela, qu’il tienne beaucoup de place dans les Anthologies de l’avenir, mais l’historien de la poésie française au dix-neuvième siècle ne pourra se dispenser de le nommer. Un certain Maurice Scève, Lyonnais, a joué le même rôle au seizième siècle, pour disparaître, après l’avoir joué, dans le rayonnement du grand Ronsard.

Faut-il le dire en terminant cet Essai trop rapide ? C’est ce Ronsard qui a manqué, qui manque encore au Symbolisme, et que nous attendons depuis tantôt dix ou douze ans. Non qu’il ne nous fut facile, si nous le voulions, de nommer d’excellents ouvriers en vers, et trois ou quatre poètes, parmi nos jeunes gens, ― M. Henri de Régnier, par exemple, ou M. Albert Samain. Mais de quelque talent qu’ils aient fait preuve, naturel ou acquis, l’amour de la vérité nous oblige de convenir qu’aucune œuvre d’aucun d’eux n’a produit en naissant cet effet d’émotion soudaine et universelle qu’on produit jadis à leur apparition Les Méditations de Lamartine ou Les Amours de Ronsard. A quoi cela tient-il ? Est ce que le temps serait peut-être devenu défavorable à la poésie, et les poètes manqueraient-ils de cette complicité de l’opinion qui leur est plus nécessaire pour se développer qu’à toute autre sorte d’artiste ? Nous ne le croyons pas, et, au contraire, non seulement en France, mais à l’étranger, on prend à eux bien plus d’intérêt qu’il y a quinze ans, vingt ans, trente ans. Ou bien naissent-ils moins nombreux ? les occasions de se produire leur manquent-elles ? la vie leur est-elle plus difficile qu’autrefois ? On ne saurait le dire, à voir ce qui se publie bon an, mal an, de volumes de vers. Ou peut-être enfin mûrissent-ils plus tard ? et l’idéal plus haut qu’ils se proposent, mais surtout plus complexe, exigeant d’eux plus d’efforts, leurs chefs-d’œuvre seraient-ils reculés jusqu’au temps de leur maturité ? Comme ils sont tous encore jeunes, c’est ce que nous aimons à penser ; et si la fin du dix-neuvième siècle, abondante en talents, est un peu maigre en œuvres, on attend et nous nous flattons que le chef-d’œuvre espère s’élabore