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n’a voulu donner place en ses vers qu’à ce qu’il croyait pouvoir exprimer pour l’aspect de l’éternité, sub specie aeternitatis. C’est ce qui en fait la solide et indestructible beauté. Les grandes scènes de la nature, celles qui seront dans des milliers d’années ce qu’elles etaient aux origines du monde, Midi, Juin, Le Rêve du Jaguar, Le Sommeil du Condor ; le peu d’elles-mêmes que les grandes races d’hommes et leurs civilisations successives ont laisse dans les annales de l’histoire, Qain, Brahma, Khiron, L’Enfance d’Héraclès, Hypatie, Mouça al Kebyr, La Tête du Comte, L’Epee d’Angantyr, Le Cœur d’Hialmar ; enfin l’invincible tristesse qui se dégage de tout de ruines et du néant ou il semble qu’aboutisse finalement le prodigieux effort de l’humanité, voila ce que Leconte de Lisle a chanté dans ses vers. Grand artiste avec cela, qui ne donnait rien à l’improvisation, qui joignait à l’étendue d’information d’un érudit moderne tous les scrupules d’un classique, dont l’ambition était de donner au contour de son vers la précision d’un bas-relief on, pour ainsi parler, la pérennité du bronze ou du marbre, on ne s’étonnera pas que, s’il a fallu quelque temps au grand public pour goûter cet art un peu sévère, les poètes au contraire en aient tout de suite reconnu tout le prix et qu’un moment même l’influence de Leconte de Lisle se soit exercée jusque sur Victor Hugo.

Il n’y a pour s’en convaincre qu’à faire la comparaison des Châtiments, 1852, ou des Contemplations, 1856, avec La Légende des Siècles, 1859. Lyrique encore, et plus personnel que jamais dans les deux premiers de ces recueils, Victor Hugo dans le troisième s’est manifestement inspiré de l’idée maîtresse des Poèmes antiques et des Poèmes barbares ; ou plutôt, il s’est piqué d’émulation, et, retrouvant toute sa virtuosité, il a semblé reconquérir l’empire que ce nouveau venu lui avait disputé. Mais on ne dépouille jamais entièrement le vieil homme, et s’il y a bien quelques pièces d’une inspiration vraiment épique dans La Légende des Siècles, telles que Le Sacre de la Femme ou Booz endormi, et généralement les premières, Victor Hugo reparaît tout entier dans les autres, le Victor Hugo des Orientales ou des Chants du Crépuscule, à qui l’histoire ou la légende ne servaient que d’un décor pour