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même le place au-dessus de ses premiers magistrats, fût-ce le Roi ou la Reine. Le romancier en était à ce haut point de fortune.

Une foule immense était venue l’acclamer sur le quai de Southampton. Debout à l’arrière du paquebot, entre sa femme et son fils, Dingley contemplait cette multitude qui saluait en lui la conscience même de sa race, et ces milliers de visages indistincts où il avait éveillé tant de fois des émotions et des pensées. Lorsque le navire s’ébranla, il prit son fils dans ses bras et le souleva pour lui montrer tout ce monde, ivre de son art, ivre de lui. Les hurrahs devinrent frénétiques ; les chapeaux, les cannes s’envolèrent ; l’hymne national sortit de milliers de poitrines. Mistress Dingley elle-même oubliait l’horreur de la guerre. Son mari était grand ! L’armée de Cronié vaincue, les massacres allaient finir. Bientôt le sang n’arroserait plus les terres du Sud… Un profond sentiment d’orgueil saisit le cœur de Dingley. Le vieux roi de l’Histoire et des Légendes, Shakespeare n’avait jamais connu cette