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les histoires qui couraient sur ce complot parmi nous autres soldats, car la nouvelle s’en était répandue de garnison en garnison, et on en parlait dans l’armée, en dépit de tous les efforts du gouvernement pour l’étouffer. L’étouffer, ah ! bien oui ! J’ai été du peuple moi-même, j’ai vu la rébellion irlandaise, et je sais ce que c’est que la franc-maçonnerie du pauvre.

Il se mit à la tête du complot. Il n’y avait ni écrits ni papiers ; pas un des conspirateurs ne communiquait avec aucun autre que le Français. Il avait tout disposé pour un soulèvement général de la garnison ; à midi, un certain jour, on devait s’emparer du corps de garde de la ville, tuer les sentinelles, et qui sait le reste ? Plusieurs des nôtres disaient que la conspiration s’étendait dans toute la Silésie, et que le Blondin devait être fait général au service d’Autriche.

À midi, et en face du corps de garde, près de la Böhmer-Thor de Neiss, une trentaine d’hommes flânaient en petite tenue, et le Français se tenait à côté de la sentinelle du corps de garde, aiguisant une hachette sur une pierre. Au coup de midi, il se leva, fendit la tête de la sentinelle avec son arme, et les trente hommes, se précipitant dans le corps de garde, s’y emparèrent des armes et marchèrent aussitôt sur la porte. Le factionnaire qui la gardait essayait d’abaisser la barre ; mais le Français s’élança sur lui, et, d’un autre coup de hache, il lui coupa la main droite, dont il tenait la chaîne. Voyant les hommes sortir armés, la garde en dehors de la porte se rangea en travers de la route pour les empêcher de passer ; mais les trente soldats du Français tirèrent dessus, la chargèrent à la baïonnette, et, après avoir tué plusieurs hommes et mis le reste en fuite, passèrent tous les trente. La frontière n’est qu’à une lieue de Neiss, et ils se dirigèrent rapidement de ce côté.

Mais l’alarme avait été donnée dans la ville, et ce qui la sauva fut que l’horloge sur laquelle s’était réglé le Français était en avance d’un quart d’heure sur toutes les autres horloges de la ville. On battit la générale, les troupes crièrent aux armes, de façon que les hommes qui devaient attaquer les autres corps de garde furent obligés d’entrer dans les rangs, et leur projet fut déjoué. Ceci, toutefois, rendit la découverte des conspirateurs impossible ; car personne ne pouvait trahir son camarade, et, comme de raison, ne voulait s’incriminer lui-même.

On envoya de la cavalerie à la poursuite du Français et de ses trente hommes, qui étaient en ce moment bien près de la frontière de Bohême. Quand la cavalerie les eut rejoints, ils se retournèrent, la reçurent à coups de fusil et de baïonnette, et la