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par la fidélité à l’ancienne foi et à l’ancien monarque, étaient jadis prodigieuses, et embrassaient plusieurs comtés, à une époque où l’Irlande était bien autrement prospère qu’aujourd’hui. Je placerais la couronne irlandaise au-dessus de mon écusson, si tant de sots qui usurpent cette distinction ne la rendaient pas commune.

Qui sait si, sans la faute d’une femme, je ne porterais pas, à l’heure qu’il est, cette couronne ? Vous faites un mouvement d’incrédulité. Et pourquoi pas ? Si mes compatriotes avaient eu, pour les conduire, un vaillant chef, au lieu de ces plats coquins qui plièrent le genou devant Richard II, ils auraient pu être libres ; s’il y avait eu un homme résolu pour tenir tête à cet infâme assassin d’Olivier Cromwell, nous nous serions à tout jamais débarrassés des Anglais. Mais il n’y avait pas, sur le champ de bataille, de Barry pour lutter contre l’usurpateur ; au contraire, mon ancêtre, Simon de Barry, arriva avec le susdit monarque, et épousa la fille du roi de Munster, dont il avait massacré les fils dans le combat.

Du temps d’Olivier, il était trop tard, pour un chef du nom de Barry, de lever son étendard contre celui du sanguinaire brasseur. Nous n’étions plus princes du pays ; notre infortunée race avait perdu ses possessions un siècle auparavant, et par la trahison la plus honteuse. Je sais que c’est un fait, car ma mère m’a souvent conté cette histoire, et l’avait consignée dans une tapisserie généalogique qui était appendue dans le salon jaune de Barryville, où nous vivions.

Ce même domaine, que les Lyndon possèdent aujourd’hui en Irlande, appartenait jadis à ma famille. Rory Barry de Barryogue en était propriétaire du temps d’Élizabeth, et de la moitié du Munster en outre. Le Barry était toujours en guerre avec les O’Mahony, à cette époque ; et il arriva qu’un certain colonel anglais passa par le pays du Barry avec une troupe d’hommes d’armes, le jour même où les O’Mahony avaient fait une incursion sur nos terres et enlevé un nombre effroyable de nos troupeaux.

Ce jeune Anglais, dont le nom était Roger Lyndon, Linden, ou Lyndaine, ayant été reçu avec beaucoup d’hospitalité par le Barry, et le voyant sur le point de faire à son tour une incursion sur les terres des O’Mahony, lui offrit l’aide de son épée et de ses lances, et se comporta si bien, à ce qu’il paraît, que les O’Mahony furent complètement battus, que tout ce qu’avait perdu le Barry fut recouvré, et qu’en sus, dit la vieille chronique, il en prit aux O’Mahony deux fois autant.