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l’arrêt de mort de Galgenstein, et il fut pendu comme espion à Strasbourg.

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« Mettez-le dans le chariot avec le reste, » dit-il dès que j’eus repris mes sens.



CHAPITRE VI.

Le chariot du racoleur. — Épisodes militaires.


Le chariot couvert vers lequel on m’ordonna de marcher était, comme j’ai dit, dans la cour de la ferme, côte à côte avec un autre lugubre véhicule de même espèce. Tous deux étaient assez bien remplis d’hommes que l’atroce racoleur qui s’était emparé de moi avait enrôlés sous les bannières du glorieux Frédéric ; et je pus voir à la lueur des lanternes des sentinelles, lorsqu’elles me jetèrent sur la paille, une douzaine de sombres figures entassées pêle-mêle dans l’horrible prison mouvante où j’allais être confiné. Un cri et une imprécation de mon voisin d’en face me prouvèrent qu’il devait être blessé comme je l’étais moi-même ; et durant toute cette déplorable nuit, les pauvres diables dont je partageais la captivité exécutèrent sans interruption un douloureux chœur de gémissements et de sanglots, qui m’empêcha de chercher dans le sommeil aucun soulagement à mes maux. À minuit (autant que j’en pus juger), les chevaux furent mis aux chariots, et les lourdes et criardes machines se mirent en mouvement. Une couple de soldats armés jusqu’aux dents étaient assis sur le banc extérieur du chariot, et de temps en temps ils passaient leurs affreux visages avec leurs lanternes à travers les rideaux de grosse toile, afin de compter leurs prisonniers. Ces brutes étaient à moitié ivres et chantaient des chansons d’amour et de guerre, telles que : O Gretchen mein Taübchen mein Herzenstrompet, Mein Kanon mein Heerpauk und meine Musket ; Prinz Eugen der edle Ritter, et autres semblables ; leurs cris sauvages et leurs jodels étant en déplorable désaccord avec nos lamentations, à nous autres captifs, dans les chariots. Maintes fois depuis j’ai entendu chanter ces chansons-là pendant la marche, ou dans la caserne, ou, la nuit, autour du feu des bivouacs.