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Vers 1765, toutefois, il reçut enfin son juste châtiment. À cette époque, il habitait Kehl, en face de Strasbourg, et avait coutume de se promener sur le pont, et d’entrer en conversation avec les sentinelles françaises avancées, auxquelles il promettait monts et merveilles, comme disent les Français, si elles voulaient prendre du service en Prusse. Un jour, il y avait sur le pont un superbe grenadier, que Galgenstein accosta, et à qui il promit une compagnie pour le moins, s’il voulait s’enrôler sous Frédéric.

« Demandez à mon camarade là-bas, dit le grenadier ; je ne peux rien faire sans lui. Nous sommes nés et avons été élevés ensemble, nous sommes de la même compagnie, de la même chambrée, nous allons toujours par paire. S’il veut vous suivre et que vous le nommiez capitaine, j’irai aussi.

— Amenez votre camarade à Kehl, dit Galgenstein ravi ; je vous donnerai le meilleur des dîners, et puis vous promettre de vous contenter tous les deux.

— Ne feriez-vous pas mieux de lui parler sur le pont ? dit le grenadier. Je n’ose pas quitter mon poste, mais vous n’avez qu’à passer et à causer de la chose. »

Galgenstein, après avoir un peu parlementé, dépassa la sentinelle ; mais aussitôt une panique le prit et il revint sur ses pas. Mais le grenadier présenta sa baïonnette au Prussien, et lui dit de s’arrêter, qu’il était son prisonnier.

Le Prussien, toutefois, voyant le danger, sauta par-dessus le parapet dans le Rhin, où, jetant son mousquet, l’intrépide factionnaire le suivit. Le Français était le meilleur nageur ; il se saisit du recruteur et l’emmena sur la rive de Strasbourg, où il le livra.

« Vous méritez d’être fusillé, dit le général au soldat, pour avoir abandonné votre poste et vos armes ; mais vous méritez une récompense pour votre acte de courage et d’audace. Le roi préfère vous récompenser. » Et l’homme reçut de l’argent et de l’avancement.

Quant à Galgenstein, il déclina ses qualités de noble et de capitaine au service de Prusse, et on fit demander à Berlin si ses allégations étaient vraies. Mais le roi, quoiqu’il employât des hommes de cette espèce (des officiers pour séduire les sujets de ses alliés), ne pouvait reconnaître sa propre honte. On répondit de Berlin qu’il existait une famille de ce nom dans le royaume, mais que l’individu qui prétendait lui appartenir devait être un imposteur, attendu que tous les officiers de ce nom étaient à leur régiment et à leur poste. Ce fut