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« Il y a là une très-bonne auberge, dit le capitaine, comme nous nous dirigions vers un endroit qui avait l’air d’être très-peu fréquenté.

— Ce peut être une très-bonne auberge pour l’Allemagne, dis-je ; mais cela ne passerait pas dans la vieille Irlande. Corbach n’est qu’à une lieue : poussons jusqu’à Corbach.

— Voulez-vous voir les plus jolies femmes de l’Europe ? dit l’officier. Ah ! fripon que vous êtes, je vois que ceci vous influencera. ». Et, à vrai dire, une telle proposition était toujours la bienvenue avec moi, je ne fais pas difficulté d’en convenir. « Ces gens-là sont de gros fermiers, dit le capitaine, en même temps qu’ils sont aubergistes. »

Et, en effet, l’endroit ressemblait plus à une ferme qu’à une cour d’auberge. Nous entrâmes par une grande porte dans une cour entourée de murs, et à un bout de laquelle était le bâtiment, sombre d’aspect et délabré. Une couple de chariots couverts étaient dans la cour, les chevaux étaient abrités sous un hangar près de là, et aux alentours allaient et venaient quelques hommes et deux sergents en uniforme prussien, qui tous deux portèrent la main à leur chapeau quand passa mon ami le capitaine. Cette formalité habituelle ne me frappa pas comme extraordinaire, mais l’apparence de l’auberge avait quelque chose d’excessivement glacial et rebutant, et je remarquai que les hommes fermèrent les grandes portes de la cour dès que nous fûmes entrés : des détachements de cavalerie française parcouraient le pays, dit le capitaine, et on ne pouvait prendre trop de précautions contre de pareils brigands.

Nous entrâmes souper, après que les deux sergents eurent pris soin de nos chevaux, et que le capitaine eut ordonné à l’un d’eux de porter ma valise dans ma chambre à coucher. Je promis à ce brave homme un verre de schnapps pour sa peine.

Un plat d’œufs frits au lard fut commandé à une hideuse vieille qui vint nous servir, au lieu de la charmante créature que je m’attendais à voir ; et le capitaine dit en riant : « Eh bien, notre repas est frugal, mais un soldat en a souvent de pires. » Et ôtant son chapeau, son ceinturon et ses gants, avec grande cérémonie, il se mit à table. Je ne voulais pas être en reste de politesse avec lui, et je mis mon épée en sûreté dans une vieille commode où était la sienne.

La hideuse vieille dont j’ai parlé nous apporta un pot de vin fort sur, lequel, joint à sa laideur, me mit de fort mauvaise humeur.