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quet, m’en donna un coup de crosse qui m’étendit par terre sans connaissance, et lorsque je revins à moi, je me trouvai saignant d’une large blessure à la tête ; je n’eus que le temps de me traîner à la maison où j’avais laissé le lieutenant, et je retombai évanoui à la porte.

Le chirurgien m’y trouva sans doute en sortant ; car, lorsque je repris une seconde fois l’usage de mes sens, j’étais au rez-de-chaussée de la maison, soutenu par la fille aux yeux noirs, tandis que le chirurgien me faisait une abondante saignée au bras. Il y avait un autre lit dans la chambre où l’on avait couché le lieutenant : c’était celui de Gretel, la servante ; tandis que Lischen, comme ma belle se nommait, avait jusqu’alors occupé celui où reposait l’officier blessé.

« Qui mettez-vous dans ce lit ? » dit-il en allemand, d’une voix languissante ; car la balle avait été extraite de son côté avec beaucoup de souffrances et de perte de sang. On lui dit que c’était le caporal qui l’avait apporté.

« Un caporal ? dit-il en anglais. ; mettez-le à la porte. » Et vous pouvez penser si je fus sensible au compliment. Mais nous étions trop faibles tous les deux pour nous adresser beaucoup de compliments ou d’injures. Je fus mis soigneusement au lit, et pendant qu’on me déshabillait, j’eus l’occasion de voir que mes poches avaient été vidées par le soldat anglais qui m’avait assommé. Mais j’avais un bon quartier : ma jeune hôtesse m’apportait une boisson restaurante ; quand je la pris, je ne pus m’empêcher de serrer la charitable main qui me la donnait, et, à vrai dire, ce témoignage de ma gratitude ne parut pas déplaire.

Cette intimité ne décrut pas avec une plus ample connaissance. Je trouvai dans Lischen la plus sensible des gardes-malades. Toutes les fois qu’on se procurait quelque friandise pour le lieutenant blessé, le lit opposé au sien en avait toujours une part, au grand ennui de notre avaricieux. Sa maladie fut longue. Le second jour, la fièvre se déclara ; pendant plusieurs nuits il eut le délire, et je me souviens qu’une fois qu’un officier supérieur inspectait nos quartiers, dans l’intention bien probablement de se loger dans la maison, les hurlements et les extravagances du malade au-dessus de sa tête le frappèrent, et il se retira passablement effrayé. J’étais fort commodément assis au rez-de-chaussée, car ma blessure ne me faisait plus souffrir, et ce fut seulement lorsque l’officier me demanda d’une voix rude pourquoi je n’étais pas à mon régiment, que je commençai à réfléchir à l’agrément de ma position, et que j’étais beaucoup