Page:Thackeray - Mémoires de Barry Lyndon.djvu/68

Cette page a été validée par deux contributeurs.

malotrus enrôlés avec moi étaient, comme de raison, papistes (l’armée anglaise était pleine de ces païens-là, qui ne manquent jamais dans notre cher pays) ; et ces gens-là, ma foi, soutenaient les intérêts du protestantisme avec Frédéric, qui vous battait les protestants suédois et les protestants saxons, aussi bien que les Russes de l’Église grecque, et les troupes papistes de l’Empereur et du roi de France. C’était contre ces derniers que les auxiliaires anglais étaient employés, et nous savons que, la querelle soit ce qu’elle voudra, un Anglais et un Français sont assez disposés à en faire un sujet de bataille.

Nous abordâmes à Cuxhaven, et je n’avais pas été un mois dans l’Électorat, que j’étais transformé en un grand jeune soldat de bonne tenue ; et, ayant une aptitude naturelle pour les exercices militaires, je fus bientôt aussi ferré sur la manœuvre que le plus ancien sergent du régiment. Il fait bon, néanmoins, rêver de guerres glorieuses dans un bon fauteuil chez soi, ou de les faire en qualité d’officier, entouré de gens comme il faut, somptueusement habillé, et stimulé par des chances d’avancement. Mais ces chances ne sont pas pour les pauvres diables à galons de laine ; le drap grossier de nos habits rouges me rendait honteux quand un de nos officiers passait à côté de moi ; j’avais le frisson dans l’âme, lorsqu’en faisant des rondes, j’entendais leurs voix joyeuses à la table de leur pension ; mon orgueil se révoltait d’être obligé de m’enduire les cheveux de farine et de suif, au lieu d’employer la pommade qui convenait à un gentilhomme. Oui, mes goûts ont toujours été relevés et élégants, et j’avais mal au cœur de l’horrible compagnie dans laquelle j’étais tombé. Quelles chances d’avancement avais-je ? Aucun de mes parents n’avait de quoi m’acheter une commission, et j’entrai bientôt dans un tel découragement, que j’aspirais après une action générale et une balle pour en finir, et que je fis vœu de saisir la première occasion de déserter.

Quand je songe que moi, le descendant des rois d’Irlande, je fus menacé de coups de canne par un polisson qui sortait du collège d’Eton ; quand je songe qu’il me proposa d’être son laquais, et que, dans aucun de ces deux cas, je ne l’égorgeai ! La première fois je fondis en larmes, peu m’importe de l’avouer, et je fus sérieusement tenté de me suicider, tant était grande ma mortification. Mais mon cher ami Fagan vint à mon aide en cette circonstance avec une consolation fort opportune. « Mon pauvre enfant, dit-il, il ne faut pas prendre ainsi la chose à cœur. Des coups de canne ne sont qu’une honte relative. Le jeune enseigne Fakenham a été fouetté lui-même à Eton il n’y a qu’un