Page:Thackeray - Mémoires de Barry Lyndon.djvu/62

Cette page a été validée par deux contributeurs.

tailleur sont déjà venus, et ils seront ici avant peu. C’est Moïse, le prêteur sur gages, qui l’a dénoncé ; c’est de lui que je tiens moi-même la nouvelle. » D’où je conclus que M. Fitzsimons avait été lui porter l’uniforme qu’il s’était procuré chez le tailleur, le jour où ce dernier m’avait fait pour la première fois crédit.

À quoi aboutissait notre conversation ? Où trouver un asile pour le descendant des Barry ? Notre maison m’était fermée par ce malheureux duel. J’étais expulsé de Dublin par une persécution dont je devais, j’en conviens, accuser ma propre imprudence. Je n’avais pas de temps à perdre pour me décider. Pas de lieu où me réfugier. Fitzsimons, après m’avoir traité comme on l’a vu, avait quitté la chambre en grommelant, mais sans hostilité : sa femme avait insisté pour nous faire donner la main, et pour qu’il promît de ne pas me tourmenter. Le fait est que je ne devais rien à cet homme ; au contraire, j’avais en poche un billet de lui pour argent perdu au jeu. Quant à mon amie, mistress Fitzsimons, elle s’assit sur le lit et éclata en sanglots bel et bien. Elle avait ses défauts, mais le cœur était bon ; et quoiqu’elle n’eût au monde que trois shillings en argent et quatre pence en cuivre, la pauvre âme me les fit prendre avant de la quitter, — pour aller où ? Mon parti était arrêté ; il y avait une vingtaine de compagnies de recrutement dans la ville, qui racolaient des hommes pour rejoindre nos vaillantes armées d’Amérique et d’Allemagne. Je savais où en trouver une, m’étant trouvé à côté du sergent à une revue au parc du Phœnix, où il m’avait indiqué les personnages intéressants à connaître, en reconnaissance de quoi je lui avais payé à boire.

Je donnai un de mes shillings à Sullivan, le maître d’hôtel des Fitzsimons, et, gagnant précipitamment la rue, je courus à une petite taverne où logeait ma connaissance, et avant dix minutes j’avais accepté le shilling de Sa Majesté. Je lui racontai franchement que j’étais un jeune gentilhomme dans l’embarras ; que j’avais tué un officier en duel, et que j’étais pressé de sortir du pays. Mais j’aurais pu ne pas me mettre en frais d’explications. Le roi Georges avait trop besoin d’hommes pour s’informer d’où ils venaient, et un gaillard de ma taille, dit le sergent, était toujours le bienvenu. Vraiment je ne pouvais pas, dit-il, mieux choisir mon temps. Un bâtiment de transport était à l’ancre à Dunleary, attendant un vent favorable, et, à bord de ce vaisseau, où je me rendis le soir même, je fis des découvertes surprenantes, qui seront rapportées dans le prochain chapitre.