Page:Thackeray - Mémoires de Barry Lyndon.djvu/50

Cette page a été validée par deux contributeurs.

mère qui allait rester seule, et à notre logis que j’abandonnais, qu’au lendemain et à toutes les merveilles qu’il allait m’apporter.



CHAPITRE III.

Je débute mal dans le monde élégant.


J’allai ce soir-là jusqu’à Carlow, où je descendis à la meilleure auberge, et lorsque mon nom me fut demandé par le maître de la maison, je donnai celui de Redmond, suivant les instructions de mon cousin, et dis que j’étais de la famille des Redmond du comté de Waterford, et en route pour le collège de la Trinité, à Dublin, où j’allais faire mon éducation. Voyant ma bonne mine, mon épée à poignée d’argent et ma valise bien remplie, mon hôte se permit de m’envoyer un pot de claret sans que je l’eusse demandé, et, vous pouvez le croire, me le fit bel et bien payer dans sa note. Aucun gentilhomme, à cette bonne vieille époque, n’allait au lit sans s’être disposé au sommeil par de copieuses libations, et, ce premier jour de mon entrée dans le monde, je me fis un point d’honneur d’agir en parfait gentilhomme, et je réussis, je vous l’assure, à jouer mon rôle admirablement. L’excitation des événements de la journée, mon départ de chez nous, ma rencontre avec le capitaine Quin suffisaient pour me troubler la cervelle, sans le claret, qui servit à m’achever complètement. Je ne rêvai pas de la mort de Quin, comme auraient peut-être fait quelques poules mouillées ; je n’ai même jamais eu de ces absurdes remords à la suite d’aucune de mes affaires d’honneur, ayant toujours considéré, dès la première, que lorsqu’un gentilhomme risque sa vie dans un mâle combat, il serait stupide à lui d’être honteux d’avoir eu le dessus. Je dormis à Carlow aussi profondément qu’il est possible de dormir, pris un pot de petite bière et une rôtie à mon déjeuner, et changeai la première de mes pièces d’or pour régler mon compte, n’oubliant pas de payer tous les domestiques libéralement et comme le doit faire un gentilhomme. Je commençai ainsi le premier jour de ma vie, et ainsi ai-je continué. Personne n’a été dans de plus grands embarras que moi et n’a plus souffert de la pauvreté, mais personne ne peut dire de moi que, lorsque