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Ulick dit qu’il m’escorterait,  et, en conséquence, nous partîmes au galop, sans ralentir le pas jusqu’à la porte de ma mère. Là, Ulick dit à Tim de donner à manger à ma jument, car elle aurait du chemin à faire aujourd’hui, et l’instant d’après, j’étais dans les bras de ma pauvre mère.

Je n’ai pas besoin de dire quels furent son orgueil et sa joie lorsqu’elle apprit d’Ulick comment je m’étais comporté dans le duel. Il ajouta, toutefois, qu’il fallait me cacher quelque temps ; et il fut arrêté entre eux que je quitterais mon nom de Barry et, prenant celui de Redmond, irais à Dublin, pour y attendre que les choses fussent apaisées. Cet arrangement n’avait pas été adopté sans discussion ; car pourquoi n’étais-je aussi bien en sûreté à Barryville, dit-elle, que mon cousin et Ulick à Castle-Brady ? Les sergents et les créanciers n’approchaient jamais d’eux : pourquoi des constables pourraient-ils mettre la main sur moi ? Mais Ulick insista sur la nécessité de mon départ immédiat, opinion à laquelle je me rangeai, étant, je dois l’avouer, fort désireux de voir le monde ; et ma mère fut amenée à comprendre que dans notre petite maison de Barryville, au milieu du village, et n’ayant pour garde qu’une couple de domestiques, il me serait impossible d’échapper aux poursuites. La bonne âme fut donc forcée de céder aux instances de mon cousin, qui lui promit, du reste, que l’affaire serait bientôt arrangée et que je lui serais rendu. Ah ! combien il savait peu ce que me réservait la fortune !

Ma chère mère avait des pressentiments, je crois, que notre séparation serait de longue durée, car elle me dit que, toute la nuit elle avait consulté les cartes sur le résultat du duel, et que tous les signes annonçaient une séparation ; et, tirant un bas de son secrétaire, la bonne âme mit vingt guinées dans une bourse pour moi (elle n’en avait elle-même que vingt-cinq) et fit une petite valise, destinée à être placée sur la croupe de ma jument, et dans laquelle étaient mes habits, du linge et le nécessaire de toilette en argent de mon père. Elle me dit aussi de  garder l’épée et les pistolets dont j’avais su me servir en homme. Alors elle pressa mon départ (quoique son cœur fût plein, je le sais) et une demi-heure à peine après mon arrivée à la maison, j’étais de nouveau en route, avec l’univers, pour ainsi dire, devant moi. Je n’ai pas besoin de dire que Tim et la cuisinière pleurèrent en me voyant partir, et peut-être que moi-même j’eus une ou deux larmes dans les yeux ; mais on n’est jamais bien triste à seize ans, quand on a pour la première fois sa liberté et vingt guinées en poche ; et je partis pensant moins, je le confesse, à la tendre