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se mirent de côté, et Ulick donna le signal. Il fut donné lentement, et j’eus le loisir de bien ajuster mon homme. Je le vis changer de couleur et trembler quand les coups furent frappés. Au troisième, nos deux pistolets partirent. J’entendis quelque chose me siffler à l’oreille, et mon adversaire poussa un horrible gémissement, chancela en arrière et tomba.

« Il est par terre ! il est par terre ! » crièrent les seconds en courant à lui.

Ulick le releva. Mick lui prit la tête.

« Il est touché au cou, » dit Mick.

Et, ouvrant l’habit, on vit le sang qui sortait de dessous son hausse-col, à l’endroit même que j’avais visé.

« Comment vous sentez-vous ? dit Ulick. Est-il réellement touché ? » dit-il en le regardant avec attention.

L’infortuné ne répondit pas ; mais, quand Ulick eut retiré le bras qui lui soutenait le dos, il poussa un nouveau gémissement et retomba en arrière.

« Le jouvenceau a bien débuté, dit Mick d’un air sombre. Vous feriez mieux de détaler avant que la police soit sur pied. Elle a eu vent de l’affaire avant notre départ de Kilwangan.

— Est-il mort ? dis-je.

— Parfaitement mort, répondit Mick.

— Eh bien, le monde est débarrassé d’un poltron, dit le capitaine Fagan poussant du pied avec mépris ce gros corps étendu à terre. Tout est fini pour lui, Reddy, il ne bouge pas.

— Nous ne sommes pas des poltrons, nous, Fagan, dit Ulick avec rudesse, qu’il soit ce qu’il voudra ! Que ce garçon parte aussi vite que possible. Votre homme ira chercher une charrette et emportera le corps de ce malheureux. Vous venez de rendre là un triste service à notre famille, Redmond Barry : vous nous avez fait perdre 1500 liv. de rente.

— C’est la faute de Nora, dis-je, et non la mienne. » Je tirai de ma veste le ruban qu’elle m’avait donné, ainsi que la lettre, et je les jetai sur le cadavre du capitaine Quin. « Tenez, dis-je, portez-lui ces rubans. Elle saura ce qu’ils signifient ; et c’est là tout ce qui lui reste de deux amoureux qu’elle avait et dont elle a causé la perte. »

Je n’éprouvai ni horreur ni crainte, tout jeune que j’étais, en voyant mon ennemi gisant à terre ; car je savais que je l’avais vaincu honorablement sur le terrain, comme il convenait à un homme de qualité.

« Et maintenant, au nom du ciel ! que cet enfant prenne le large, » dit Mick.