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tant il y a peu à compter sur l’honneur de ces gredins de marchands.

À onze heures, le capitaine Fagan arriva à cheval avec un dragon derrière lui. Il fit honneur à la collation que ma mère avait eu soin de lui préparer, puis il dit :

« Voyez-vous, Redmond, c’est une sotte affaire. Cette fille épousera Quin, retenez ce que je vous dis ; et aussi sûr qu’elle le fera, vous l’oublierez. Vous n’êtes qu’un enfant. Quin est disposé à vous considérer comme tel. Dublin est une belle ville, et si vous avez envie de faire une promenade par là et d’y passer un mois, voici vingt guinées à votre service. Faites des excuses à Quin, et décampez.

— Un homme d’honneur, monsieur Fagan, dis-je, meurt, mais ne fait pas d’excuses. Que le capitaine soit pendu avant que j’en fasse !

— Alors, il n’y a plus qu’une rencontre.

— Ma jument est sellée et toute prête, dis-je ; où est le lieu du rendez-vous, et quel est le second du capitaine ?

— Vos cousins sont avec lui, répondit M. Fagan.

— Je sonnerai mon groom pour qu’il amène ma jument, dis-je, dès que vous vous serez reposé. »

Tim fut donc dépêché vers Nora, et je partis à cheval, mais sans prendre congé de mistress Barry. Les rideaux de la fenêtre de sa chambre à coucher étaient baissés, et ils ne bougèrent que quand nous montâmes à cheval et partîmes au trot… mais deux heures plus tard, il aurait fallu la voir lorsqu’elle descendit en chancelant l’escalier, et entendre le cri qu’elle poussa lorsqu’elle serra contre son cœur son fils qui revenait sans aucune blessure.

Ce qui était advenu, je puis aussi bien le dire ici. Quand nous arrivâmes sur le terrain, Ulick, Mick et le capitaine y étaient déjà. Quin, tout flambant dans son uniforme rouge, l’être le plus monstrueux qui eût jamais commandé une compagnie de grenadiers. Mes gens riaient ensemble de quelque plaisanterie de l’un ou de l’autre, et je dois dire que je trouvai ce rire fort inconvenant de la part de mes cousins, qui allaient peut-être assister à la mort d’un des leurs.

« J’espère gâter leur plaisir, dis-je tout en fureur au capitaine Fagan, et je compte bien voir mon épée dans le corps de ce gros fanfaron.

— Oh ! c’est au pistolet que nous nous battons, repartit M. Fagan. Vous n’êtes pas de la force de Quin à l’épée.

— Je suis de la force de tout homme à l’épée, dis-je.