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mon oncle et à Ulick, et à toutes les filles qui sont de mon parti là-bas. Et je reste votre obéissant fils, Redmond Barry. »

À Nora, j’écrivais : « Cette lettre sera trouvée dans mon sein, avec le gage que vous m’avez donné ; il sera teint de mon sang (à moins que je n’aie celui du capitaine Quin, que je hais, mais à qui je pardonne), et sera un joli ornement pour vous le jour de votre mariage. Portez-le, et pensez au pauvre garçon à qui vous l’avez donné et qui est mort (comme il a toujours été prêt à le faire) pour vous. Redmond. »

Ces lettres écrites et scellées avec le grand sceau d’argent de mon père aux armes des Barry, je descendis déjeuner au parloir où ma mère était à m’attendre, comme vous pouvez le penser. Nous ne dîmes pas un mot de ce qui allait avoir lieu ; au contraire, nous parlâmes de tout autre chose ; des personnes qui étaient la veille à l’église, et du besoin que j’avais d’habits neufs, maintenant que j’avais tant grandi. Elle dit qu’il fallait que j’eusse un habillement complet pour l’hiver, si… si ses moyens le permettaient. Cette restriction lui fit une impression pénible, le ciel la bénisse ! Je sais ce qu’elle avait dans l’esprit. Et alors, elle se mit à me parler du cochon noir qu’il fallait tuer, et à me dire qu’elle avait trouvé le matin la cachette de la poule tachetée, dont j’aimais tant les œufs, et autres bagatelles. J’eus quelques-uns de ces œufs à déjeuner, et je les mangeai de bon appétit ; mais, en prenant du sel, je le renversai, sur quoi elle se leva en poussant un cri : « Dieu merci ! dit-elle, il est tombé de mon côté. » Et alors, son cœur étant trop plein, elle quitta la chambre. Ah ! elles ont leurs défauts, les mères, mais est-il d’autres femmes comme elles ?

Quand elle fut partie, j’allai décrocher l’épée avec laquelle mon père avait vaincu le baronnet du Hampshire, et, le croiriez-vous ? la courageuse femme avait noué un ruban neuf à la poignée, car vraiment, elle avait l’intrépidité d’une lionne et d’une Brady réunies. Et alors je décrochai les pistolets, qui étaient toujours tenus brillants et bien huilés, et les garnis de pierres neuves que j’avais, et préparai des balles et de la poudre en attendant l’arrivée du capitaine. Il y avait du claret et un poulet froid pour lui sur le buffet, et un flacon de vieille eau-de-vie aussi, avec une couple de petits verres sur le plateau d’argent aux armes des Barry. Dans la suite, am milieu de ma fortune et de ma splendeur, je payai trente-cinq guinées et presque une fois autant pour les intérêts, à l’orfèvre de Londres qui avait fourni ce même plateau à mon père. Plus tard, un coquin de prêteur sur gages ne voulut me l’acheter que seize,