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ans… eh bien, soit, disons seize, et un garçon qui devrait être attaché à son oncle comme à un père…

— Et je le suis, dis-je.

— Et c’est comme cela que vous reconnaissez ses bontés ! Ne vous a-t-il pas recueilli chez lui, quand vous étiez orphelin, et ne vous loge-t-il pas gratis, là-bas, dans votre belle maison de Barryville ? Et maintenant que ses affaires peuvent être mises en ordre, et qu’il s’offre à lui une chance d’être à son aise sur ses vieux jours, qui est-ce qui vient le contrecarrer et entraver sa fortune ? Vous, entre tous les autres ! l’homme du monde qui lui a le plus d’obligation ! c’est mal, c’est ingrat, c’est dénaturé. D’un garçon de votre énergie, j’attends un plus vrai courage.

— Je n’ai peur d’aucun homme vivant, m’écriai-je (car cette dernière partie de l’argument du capitaine m’avait un peu ébranlé, et je voulais, comme de raison, la tourner, comme on fait d’un ennemi qui est trop fort) ; et c’est moi qui suis la partie lésée, capitaine Fagan. Personne, depuis que le monde existe, n’a jamais été traité ainsi. Regardez, regardez ce ruban ; je le porte depuis six mois sur mon cœur. Je l’ai eu là tout le temps de ma fièvre. Est-ce que ce n’est pas Nora qui l’a tiré de son sein et me l’a donné ? Ne m’a-t-elle pas donné un baiser en me le donnant, et ne m’a-t-elle pas appelé son bien-aimé Redmond ?

— Elle s’exerçait, répliqua M. Fagan avec un rire sardonique. Je connais les femmes, monsieur. Donnez-leur le temps, et que personne autre ne vienne à la maison, elles deviendront amoureuses du ramoneur. Il y avait une demoiselle à Fermoy…

— Une demoiselle au fin fond des enfers ! m’écriai-je. Écoutez bien, advienne que pourra, je jure que je me battrai avec l’homme qui prétendra à la main de Nora Brady. Je le suivrai, fût-ce dans l’église, et il aura affaire à moi. J’aurai son sang ou il aura le mien ; et on en trouvera ce ruban teint. Oui ! et si je le tue, je le lui attacherai sur la poitrine ; et alors, elle pourra aller reprendre son gage d’amour. » Je dis cela, parce que j’étais très-échauffé dans le moment, et parce que ce n’était pas pour rien que j’avais lu des romans et des drames romanesques.

« Eh bien, dit Fagan après une pause, si cela doit être, que cela soit. Pour un jeune garçon, vous êtes bien sanguinaire. Quin est un gaillard déterminé, lui aussi.

— Voulez-vous lui porter mon message ? dis-je vivement.

— Chut ! dit Fagan ; votre mère est peut-être aux aguets. Nous voici tout près de Barryville.

— Faites attention ! pas un mot à ma mère, » dis-je, et j’entrai à