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ressuscita à la surprise de tous, et principalement à celle de son parent de la maison de Tiptoff. Ce jeune seigneur fit son apparition à Bath, muni de la lettre de Barry à lord George, où le premier menaçait de divulguer sa liaison avec lady Lyndon ; liaison, nous n’avons pas besoin de le dire, qui ne jetait pas le moindre déshonneur sur aucune des deux parties, et prouvait seulement que milady avait l’habitude d’écrire des lettres extrêmement sottes, comme beaucoup de femmes, et même d’hommes, ont fait avant elle. Pour avoir mis en question l’honneur de sa mère, lord Bullingdon se livra à des voies de fait contre son beau-père (qui vivait à Bath sous le nom de M. Jones), et lui administra une terrible correction dans le salon de conversation.

L’histoire du jeune lord, depuis son départ, était un roman que nous ne nous considérons pas comme tenu de raconter. Il avait été blessé dans la guerre d’Amérique, cru mort, fait prisonnier, et s’était échappé. L’argent qu’on lui avait promis n’avait jamais été envoyé ; la pensée de cette négligence avait presque brisé le cœur de ce fougueux et romanesque jeune homme, et il résolut de demeurer mort, pour le monde du moins et pour la mère qui l’avait renié. Ce fut dans les bois du Canada, et trois années après cet événement, qu’il vit la mort de son demi-frère insérée dans le Gentleman’s Magazine, sous le titre de : « Fatal accident arrivé à lord vicomte Castle Lyndon ; » sur quoi il se détermina à revenir en Angleterre, où, quoiqu’il se fût fait connaître, ce fut avec une très-grande difficulté qu’il convainquit lord Tiptoff de l’authenticité de ses droits. Il allait rendre visite à sa mère à Bath, lorsqu’il reconnut M. Barry Lyndon, en dépit du modeste déguisement que portait ce gentilhomme, et il vengea sur lui les insultes des anciens jours.

Lady Lyndon fut furieuse lorsqu’elle sut cette rencontre ; elle refusa de voir son fils, et voulait se jeter sur-le-champ dans les bras de son adoré Barry ; mais, dans l’intervalle, ce gentilhomme avait été transféré de prison en prison, jusqu’à ce qu’il fût déposé aux mains de M. Bendigo, de Chancery Lane, assistant du sheriff de Middlesex, de chez qui il alla à la prison de la Fleet. Le shériff et son assistant, le prisonnier et la prison elle-même, n’existent plus aujourd’hui.

Tant que vécut lady Lyndon, Barry toucha sa pension, et fut peut-être aussi heureux en prison qu’à aucune époque de son existence ; quand Sa Seigneurie mourut, son héritier supprima impitoyablement la rente, consacrant la somme à des charités,