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et en ce moment elle est assise travaillant près de moi dans la prison, et elle a une chambre dans Fleet-Market, de l’autre côté de la chaussée, et la rente viagère de cinquante livres, qu’elle a su conserver avec une sage prudence, nous aide à mener une existence misérable, tout à fait indigne du fameux et fashionable Barry Lyndon.

Les Mémoires de M. Barry Lyndon ne vont pas plus loin ; la main de la mort en interrompit en cet endroit l’ingénieux auteur, après dix-neuf ans de séjour dans la prison de la Fleet, dont les registres constatent qu’il mourut du delirium tremens. Sa mère atteignit un âge prodigieusement avancé, et les habitants du lieu qui l’ont connue se rappellent fidèlement les disputes quotidiennes qui s’élevaient entre la mère et le fils, jusqu’au jour où ce dernier, par suite de ses habitudes d’ivrognerie, tombant dans un état voisin de l’imbécillité, fut soigné presque comme un petit enfant par sa robuste vieille mère, et pleurait lorsqu’il était privé de son indispensable verre d’eau-de-vie.

Nous ne sommes pas à même de suivre pas à pas la vie qu’il mena sur le continent ; il paraît avoir repris son ancienne profession de joueur, mais sans ses anciens succès.

Il retourna secrètement en Angleterre au bout de quelque temps, et fit une infructueuse tentative pour extorquer de l’argent à lord George Poynings, en le menaçant de publier sa correspondance avec lady Lyndon, et d’empêcher le mariage de Sa Seigneurie avec miss Driver, grande héritière à principes sévères, et immensément riche en esclaves dans les Indes occidentales. Il s’en fallut bien peu que Barry ne fût arrêté par les recors qu’avait lancés sur lui Sa Seigneurie, qui voulait lui supprimer sa pension ; mais sa femme ne voulut pas consentir à cet acte de justice, et même elle rompit avec milord George aussitôt qu’il épousa la dame des Indes occidentales.

Le fait est que la vieille comtesse croyait ses charmes éternels, et qu’elle ne cessa jamais d’aimer son mari. Elle vivait à Bath, ses biens étant tout particulièrement soignés par ses nobles parents les Tiptoff, à qui ils devaient revenir à défaut d’héritiers directs ; et telle était l’adresse de Barry et l’influence qu’il conservait encore sur cette femme, qu’il lui avait presque persuadé de revenir vivre avec lui, lorsque leur plan à tous deux fut dérangé par l’apparition d’une personne qu’on croyait morte depuis plusieurs années.

Cette personne n’était autre que le vicomte Bullingdon, qui