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j’avais eu le malheur d’y perdre au jeu, au grand désappointement de mes créanciers, je ne m’étais pas aventuré à me montrer dans cette ville, et tout ce que je pouvais faire, c’était de paraître au chef-lieu de notre comté, à de rares intervalles, et parce que je connaissais les shériffs, que j’avais juré de tuer s’il m’arrivait aucun malheur. La perspective d’un bon emprunt était donc aussi bienvenue que possible, et je la saluai avec toute l’ardeur imaginable.

En réponse à la lettre de lady Lyndon, arriva une autre lettre de ces maudits négociants de Londres, disant que si Sa Seigneurie voulait confirmer de vive voix, à leur comptoir de Birchin-Lane, Londres, ce qu’elle leur avait écrit, sans doute, examen fait de la propriété, ils concluraient l’affaire ; mais ils refusaient de courir le risque d’une visite à Castle Lyndon pour négocier, sachant comment y avaient été traitées d’autres personnes respectables, telles que MM. Sharp et Salomon de Dublin. Ceci était à mon adresse ; mais il est des situations où on ne peut pas imposer ses conditions, et, ma foi, j’avais un tel besoin d’argent, que j’aurais pu signer un engagement avec Satan lui-même, s’il s’était présenté muni d’une bonne somme bien ronde.

Je résolus de mener la comtesse à Londres. Ce fut en vain que ma mère me supplia et m’avertit. « Soyez-en sûr, dit-elle, il y a là-dessous quelque artifice. Une fois dans cette maudite ville, vous n’êtes plus en sûreté. Ici vous pouvez vivre des siècles dans le luxe et la splendeur, sauf le claret et les fenêtres brisées ; mais dès qu’ils vous tiendront à Londres, ils seront maîtres de mon pauvre innocent garçon ; et la première chose que j’apprendrai de vous, c’est que vous êtes dans l’ennui.

— Pourquoi y aller, Redmond ? dit ma femme. Je suis heureuse ici, tant que vous serez bon pour moi comme vous l’êtes maintenant. Nous ne pouvons faire à Londres la figure que nous devrions ; le peu d’argent que vous recevrez sera dépensé comme l’a été le reste. Faisons-nous berger et bergère : gardons nos troupeaux et soyons contents. » Et elle me prit la main et la baisa, tandis que ma mère se bornait à dire : « Hum ! je la crois du complot, l’infâme traîtresse ! »

Je dis à ma femme qu’elle était une bête ; j’invitai mistress Barry à ne pas s’inquiéter ; j’avais à cœur de partir et ne voulus entendre à rien. Comment me procurer l’argent du voyage, là était la question ; mais la difficulté fut levée par ma bonne mère, qui était toujours prête à m’aider dans l’embarras, et qui tira d’un bas soixante guinées, qui étaient tout l’argent comptant dont pouvait disposer Barry Lyndon, de Castle Lyndon, qui avait