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turer dans ma maison. Nos rentes aussi étaient touchées par des receveurs à cette époque, et c’était tout ce que je pouvais faire que d’obtenir de ces coquins assez d’argent pour payer les mémoires de mes marchands de vin. Nos propriétés anglaises, comme j’ai dit, étaient pareillement engagées, et, chaque fois que je m’adressais à mes hommes de loi et à mes agents pour avoir de l’argent, ils me répondaient par une demande semblable, motivée sur des dettes et de prétendus droits que cette canaille rapace disait avoir à faire valoir contre moi.

Ce fut alors que je reçus avec un certain plaisir une lettre de mon homme de confiance de Gray’s-Inn, à Londres, où il était dit, en réponse à une quatre-vingt-dix-neuvième demande de moi, qu’il pensait pouvoir me procurer quelque argent, et où était incluse une lettre d’une maison respectable de la Cité de Londres, et s’occupant d’affaires de mines, laquelle offrait de dégager, moyennant un long bail, certaine propriété à nous qui n’était pas encore par trop grevée, pourvu que la comtesse donnât sa signature, et qu’on eût la certitude que c’était de son plein et libre arbitre. Ils avaient entendu dire qu’elle vivait dans la terreur, croyant sa vie menacée par moi, et qu’elle méditait une séparation, auquel cas elle pourrait désavouer tout acte signé par elle durant sa captivité, et exposer les contractants à une procédure dont les résultats seraient incertains et les frais considérables, et ils demandaient à être assurés de la parfaite liberté d’action de Sa Seigneurie avant d’avancer un schelling de leur capital.

Leurs conditions étaient si exorbitantes, que je vis tout de suite que leur offre devait être sincère, et, comme milady était dans une disposition gracieuse, je lui persuadai sans peine d’écrire une lettre de sa propre main, pour déclarer que ce que l’on disait de notre mésintelligence était une pure calomnie, que nous vivions en parfaite harmonie, et qu’elle était toute prête à signer tel acte que son mari pourrait désirer.

Cette proposition venait fort à propos, et me remplissait d’espérance. Je n’ai pas ennuyé mes lecteurs du détail de mes dettes et de mes procès, qui étaient à cette époque si nombreux et si compliqués que je n’y ai jamais vu bien clair moi-même, et que j’en étais harcelé à en perdre la tête. Qu’il me suffise de dire que je n’avais plus ni argent ni crédit. Je vivais à Castle Lyndon de mon bœuf et de mon mouton, du pain, de la tourbe et des pommes de terre de mon propre domaine ; j’avais un œil sur lady Lyndon au dedans, et l’autre sur les recors au dehors. Depuis deux ans, depuis que j’avais été à Dublin toucher de l’argent que