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infâmes traitements. Il faudrait n’avoir pas de sang dans les veines pour supporter de voir comme vous en usez avec elle. J’ai essayé de l’aider à vous échapper, et je le ferais encore, si l’occasion s’en présentait, je vous le déclare en face ! » Quand je le menaçai de lui faire sauter la cervelle pour son insolence : « Bah ! dit-il, tuer l’homme qui sauva jadis la vie à votre pauvre enfant, et qui s’efforçait de le préserver de la ruine et de la perdition où l’entraînait son coupable père, quand une puissance miséricordieuse est intervenue et l’a retiré de ce séjour de crimes ! Il y a plusieurs mois que je vous aurais quitté, si je n’avais compté sur quelque chance de sauver cette pauvre dame. J’ai juré de le tenter, le jour que je vous vis la frapper. Tuez-moi, homme brave avec les femmes ! Vous le feriez, si vous l’osiez, mais vous n’en avez pas le cœur. Vos propres domestiques me sont plus attachés qu’à vous. Touchez-moi, et ils se lèveront et vous enverront à la potence que vous méritez ! »

J’interrompis ce charmant discours en lançant à la tête du jeune gentilhomme une carafe qui le jeta par terre ; et alors, j’allai méditer sur ce qu’il m’avait dit. Il était vrai qu’il avait sauvé la vie au pauvre petit Bryan, et que l’enfant l’aimait tendrement. « Soyez bon pour Redmond, papa, » étaient presque les dernières paroles qu’il eût prononcées ; et j’avais promis au pauvre enfant, à son lit de mort, de faire ce qu’il me demandait. Il était vrai aussi que, si je le traitais mal, cela ne serait pas vu de bon œil par mes gens, dont il avait trouvé moyen de devenir le grand favori ; tandis que moi, je ne sais pourquoi, j’avais beau me griser souvent avec ces drôles et être plus familier avec eux que ne l’est d’ordinaire un homme de mon rang, je savais n’être pas bien vu d’eux, et que les faquins murmuraient continuellement contre moi.

Mais j’aurais pu m’épargner la peine de délibérer sur son sort, car notre jeune homme en disposa lui-même de la façon la plus simple du monde ; à savoir, en se lavant et se bandant la tête dès qu’il revint à lui, en prenant son cheval dans l’écurie ; et, comme il était libre d’aller et venir dans la maison et dans le parc à sa fantaisie il disparut sans le moindre empêchement ; et laissant le cheval au bac, il partit dans la chaise de poste même qui attendait lady Lyndon. De longtemps je ne le vis ni n’entendis parler de lui, et une fois hors de la maison, je ne le considérai pas comme un ennemi fort inquiétant.

Mais l’artifice de la femme est tel, qu’à la longue je crois que Machiavel en personne ne saurait y échapper ; et quoique