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songeai d’abord à surprendre le couple en flagrant délit d’évasion ; à les noyer à moitié lorsqu’ils passeraient le bac pour gagner leur chaise, et à brûler la cervelle au perfide sous les yeux de lady Lyndon ; mais, après réflexion, il était évident que la nouvelle de l’évasion ferait du bruit dans le pays, qu’elle m’attirerait sur les bras les gens de justice, que Dieu confonde, et que le tout finirait mal pour moi. Je fus donc obligé d’étouffer ma juste indignation, et de me contenter d’écraser dans l’œuf cet infâme complot.

Je rentrai, et au bout d’une demi-heure, avec quelques-uns de mes terribles regards, j’eus lady Lyndon à mes genoux, me suppliant de lui pardonner ; faisant une pleine et entière confession ; toute prête à jurer qu’elle ne recommencerait jamais une tentative semblable ; et déclarant qu’elle avait été cinquante fois sur le point de m’avouer tout, mais qu’elle avait craint mon ressentiment envers ce pauvre jeune homme, son complice, qui était, dans le fait, l’auteur et l’inventeur de tout le mal. Quoique je susse parfaitement à quoi m’en tenir sur la fausseté de ces paroles, je fus forcé de faire semblant d’y croire ; je l’engageai donc à écrire à son cousin lord George, qui lui avait fourni de l’argent, elle en convenait, et avec qui le plan avait été concerté, pour lui dire brièvement qu’elle avait changé d’avis au sujet de la partie de campagne projetée, et que, comme son cher mari était un peu indisposé, elle préférait rester à le soigner.

J’ajoutai un post-scriptum fort sec, où je disais que Sa Seigneurie me ferait grand plaisir si elle voulait venir nous voir à Castle Lyndon, et que je brûlais de renouveler une connaissance qui m’avait procuré jadis tant de satisfaction. J’irais le chercher, ajoutais-je, aussitôt que je serais dans son voisinage, et me promettais un vif plaisir de ma rencontre avec lui. Je crois qu’il dut parfaitement bien comprendre le sens de mes paroles, qui était qu’à la première occasion je lui passerais mon épée au travers du corps.

Ensuite, j’eus une scène avec mon perfide gredin de neveu, dans laquelle le jeune réprouvé montra une audace et une énergie que je n’attendais nullement. Quand je le taxai d’ingratitude : « Qu’est-ce que je vous dois ? dit-il. J’ai travaillé pour vous comme nul homme ne l’a fait pour un autre, et cela sans un sou de salaire ; c’est vous-même qui m’avez soulevé contre vous, en me donnant une tâche contre laquelle mon âme s’est révoltée, en me faisant espionner votre infortunée femme, dont la faiblesse est aussi déplorable que le sont ses malheurs et vos