Page:Thackeray - Mémoires de Barry Lyndon.djvu/286

Cette page a été validée par deux contributeurs.

table ni aux cours jusqu’à ce que ses mémoires du collège fussent payés ; et, offensé de cette insolente manière de demander le payement de cette misérable somme, je leur retirai ma protection et rappelai mon gentilhomme à Castle Lyndon, où je me le rendis utile de cent manières. Du vivant de mon cher petit garçon, il lui servit de précepteur autant que l’esprit indépendant du pauvre petit le laissait faire ; mais je vous promets que le cher enfant ne se donna jamais beaucoup de mal avec les livres. Ensuite, il tenait les comptes de mistress Barry, copiait mon interminable correspondance avec mes hommes de loi et les agents de toutes mes diverses propriétés ; faisait une partie de piquet ou de trictrac le soir avec moi et ma mère ; ou, étant un garçon assez bien doué (quoique avec le cœur bas d’un rustre, comme il convenait au fils d’un tel père), il accompagnait avec son flageolet l’épinette de milady Lyndon, ou lisait avec elle du français et de l’italien, deux langues que Sa Seigneurie possédait à fond, et où il devint lui-même parfaitement versé. Cela irritait fort ma vigilante vieille mère de les entendre parler ces langues ; car, n’en entendant pas un mot, elle disait toujours que c’était quelque complot qu’ils tramaient. Aussi, pour ennuyer la vieille dame, lady Lyndon ne manquait jamais, quand ils étaient seuls tous les trois, de s’adresser à Quin dans l’une ou l’autre de ces langues.

J’étais parfaitement tranquille quant à la fidélité de ce garçon, car je l’avais élevé, accablé de bienfaits, et, de plus, j’avais eu diverses preuves de la confiance qu’il méritait. C’était lui qui m’avait apporté trois lettres de lord George en réponse à des plaintes de milady, et qui étaient cachées entre le cuir et les planches d’un livre que le cabinet de lecture avait envoyé à lire à Sa Seigneurie. Milady et lui aussi avaient de fréquentes querelles. Elle contrefaisait sa démarche dans ses moments de gaieté ; dans ses humeurs hautaines, elle ne voulait pas s’asseoir à table avec le petit-fils d’un tailleur. « Donnez-moi toute autre compagnie que celle de cet odieux Quin, » disait-elle, quand je proposais qu’il vînt l’amuser avec ses livres et sa flûte : car, quelque discorde qui régnât entre nous, il ne faut pas croire que nous fussions toujours à couteaux tirés ; j’étais parfois attentif pour elle. Il nous arrivait d’être amis ensemble un mois de suite ; puis nous nous querellions pendant quinze jours ; puis elle restait un mois chez elle : détails de ménage qui étaient tous notés, à sa manière, dans le journal de captivité de Sa Seigneurie, comme elle l’appelait ; et c’est un joli document ! Tantôt elle écrit : « Mon monstre a été presque aimable