Page:Thackeray - Mémoires de Barry Lyndon.djvu/282

Cette page a été validée par deux contributeurs.

était écrite une série de commandes à sa couturière, indiquant les robes dont milady avait besoin, la forme à leur donner, les étoffes qu’elle voulait avoir, etc. Elle dressait de longues listes de ce genre, écrivant chaque article à la ligne, de manière à avoir plus de place pour détailler toutes mes cruautés et ses effroyables griefs. Entre ces lignes, elle tenait un journal de sa captivité ; il y aurait eu de quoi faire la fortune d’un romancier de ce temps-là, que d’en avoir une copie et de la publier sous le titre de l’Aimable prisonnière ou le féroce époux, ou tout autre également saisissant et absurde. Ce journal contenait ce qui suit :

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

« Lundi. — Hier on m’a forcée d’aller à l’église. Mon odieux, monstrueux, vulgaire dragon de belle-mère, en satin jaune et rubans rouges, prenant la première place dans la voiture ; M. L. à la portière, sur le cheval qu’il n’a jamais payé au capitaine Hurdlestone. L’infâme hypocrite m’a menée à notre banc, chapeau bas et mine souriante, et m’a baisé la main quand je suis remontée en voiture après le service, et a caressé mon lévrier italien, le tout afin que le peu de gens réunis là pussent le voir. Le soir il m’a fait descendre pour faire le thé à sa compagnie, dont les trois quarts, lui compris, étaient ivres, comme d’habitude. Ils ont peint en noir la face du ministre, quand Sa Révérence en était à sa septième bouteille et dans son état ordinaire d’insensibilité, et ils l’ont attaché sur la jument grise, le visage vers la queue. Le dragon femelle a lu toute la soirée jusqu’à l’heure du coucher, The Whole Duly of Man (le Devoir complet de l’homme), et alors elle m’a reconduite à mon appartement, m’y a enfermée, et est allée s’occuper de son abominable fils, qu’elle adore pour sa perversité, je le croirais, comme Stycorax faisait Caliban. »

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Il fallait voir la fureur de ma mère à la lecture de ce passage ! Dans le fait, j’ai toujours eu le goût de la plaisanterie (celle que nous fîmes au ministre fut, je le confesse, telle qu’elle a été décrite ci-dessus), et j’avais grand soin de donner connaissance à mistress Barry de tous les compliments que lui adressait lady Lyndon. Le dragon était le nom sous lequel elle était connue dans cette précieuse correspondance ; quelquefois aussi elle était désignée sous celui de la sorcière irlandaise. Quant à moi, c’était « mon geôlier, mon tyran, le noir esprit qui me tient en son pouvoir, » et ainsi de suite, dans des termes toujours flatteurs pour mon empire, s’ils l’étaient fort peu pour mon amabilité. Voici un autre extrait de son journal de prison,