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je repousse cette imputation avec mépris. Tout homme emprisonne sa femme jusqu’à un certain point ; le monde serait dans un joli état si les femmes pouvaient sortir de chez elles et y rentrer quand il leur plaît. En surveillant lady Lyndon, ma femme, je ne faisais qu’exercer l’autorité légitime qui confère à tout mari le droit d’être honoré et obéi.

Tel est, toutefois, l’artifice des femmes, qu’en dépit de toute ma vigilance il est probable que milady m’aurait échappé, si je n’avais pas eu une alliée aussi fine ; car, de même que le proverbe dit que le meilleur moyen d’attraper un voleur est de lui en mettre un autre aux trousses, de même le meilleur moyen de venir à bout d’une femme est de charger une autre rusée femelle de la garder. On aurait cru que, suivie comme elle l’était, toutes ses lettres lues, et toutes ses connaissances strictement surveillées par moi, vivant dans une partie reculée de l’Irlande, loin de sa famille, lady Lyndon n’avait aucune chance de communiquer avec ses partisans, ou de rendre publics ses griefs, comme il lui plaisait de les appeler ; et cependant elle entretint pendant quelque temps une correspondance à mon nez, et organisa subtilement une conspiration pour me fuir, comme il sera dit.

Elle avait toujours une passion désordonnée pour la toilette, et, comme elle n’était jamais contrecarrée dans ses fantaisies de cette espèce (car je n’épargnais rien pour la contenter, et parmi mes dettes il y a des mémoires de marchandes de modes pour plusieurs milliers de livres), c’était une continuelle allée et venue de boîtes de Dublin, contenant toutes sortes de robes, de bonnets, de volants et de falbalas, selon sa fantaisie. À ces envois étaient jointes des lettres de sa marchande de modes, en réponse aux commandes de milady, et le tout passait par mes mains, sans éveiller en moi le moindre soupçon, pendant quelque temps. Et cependant ces mêmes papiers, par le facile moyen d’une encre sympathique, contenaient toute la correspondance de Sa Seigneurie, et Dieu sait (car je fus quelque temps, comme j’ai dit, sans découvrir le tour) quelles accusations contre moi.

Mais l’habile mistress Barry remarqua que toujours, avant d’écrire à sa marchande de modes, Sa Seigneurie avait besoin de citrons pour faire, soi-disant, sa boisson ; et ce fait qui me fut rapporté me donna à penser ; j’exposai donc une des lettres au feu, et ce noir complot fut démasqué. Je vais donner un échantillon d’une des horribles lettres si artificieuses de cette malheureuse femme. D’une grosse écriture, à lignes espacées,