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santé, cependant cette infernale famille des Tiptoff eut vent de mon projet et protesta aussitôt, non-seulement par lettres, mais dans d’ignobles libelles imprimés, et me dénonça à la haine publique, comme un forgeur d’enfant, c’est le nom qu’elle me donnait. Comme de raison, je repoussai l’imputation, je ne pouvais pas faire autrement, et j’offris de me rencontrer sur le champ d’honneur avec n’importe lequel des Tiptoff, et de prouver qu’il était un gredin et un menteur, ce qu’il était effectivement, quoique peut-être pas dans cette circonstance. Mais ils se contentèrent de me répondre par l’entremise d’un homme de loi, et déclinèrent une invitation que tout homme de cœur eût acceptée. Mes espérances d’avoir un héritier avortèrent ainsi complètement ; le fait est que lady Lyndon (quoique, comme j’ai dit, je compte son opposition pour rien), avait résisté à ma proposition avec autant d’énergie qu’en pouvait déployer une femme de sa faiblesse, et dit qu’elle avait commis un grand crime à cause de moi, mais qu’elle aimerait mieux mourir que d’en commettre un autre. J’aurais pu aisément ramener Sa Seigneurie à la raison, néanmoins ; mais mon plan était éventé, et je ne pouvais plus songer à l’exécuter. Nous aurions eu une douzaine d’enfants légitimes que l’on aurait dit qu’ils étaient supposés.

Quant à me procurer de l’argent sur du viager, je puis dire que j’avais absorbé tout celui de ma femme. Il y avait, de mon temps, fort peu de ces compagnies d’assurances qui se sont élevées depuis dans la ville de Londres ; c’étaient des individus qui faisaient l’affaire, et la vie de lady Lyndon était aussi bien connue d’eux que celle, je crois, d’aucune femme de la chrétienté. En dernier lieu, quand je voulus me procurer une somme, les gredins eurent l’impudence de dire que la manière dont je la traitais ne leur laissait pas une année de chance, comme si mon intérêt était de la tuer ! Si mon garçon eût vécu, c’eût été bien différent ; sa mère et lui auraient pu entre eux annuler une bonne partie de la substitution, et remettre de l’ordre dans mes affaires. À présent, elles étaient vraiment en bien mauvais état. Tous mes plans avaient échoué ; mes terres, que j’avais achetées avec de l’argent d’emprunt, ne me rapportaient rien, et j’étais obligé de payer des intérêts ruineux pour les sommes qu’elles m’avaient coûtées. Mon revenu, quoique considérable, était grevé de centaines d’annuités, et de milliers de frais d’hommes de loi, et je me sentais enveloppé de plus en plus dans ce réseau, sans aucun moyen de m’en tirer.

Pour ajouter à toutes mes perplexités, deux ans après la