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Seigneurie une bonne correction si vous le montez sans ma permission. »

Je suppose que le pauvre enfant ne s’effraya pas d’acheter à ce prix le plaisir qu’il se promettait, ou qu’il pensa peut-être bien qu’un tendre père lui ferait remise entière de la peine, car le lendemain matin, quand je me levai, un peu tard, ayant passé la nuit à boire, j’appris que l’enfant avait décampé au point du jour, s’étant glissé par la chambre de son gouverneur (c’était Redmond Quin, notre cousin, qui était venu vivre chez moi), et je n’eus pas de doute qu’il ne fût allé à la ferme de Doolan.

Je pris un grand fouet de cheval et galopai après lui en fureur, jurant de tenir ma promesse. Mais, que le ciel me pardonne ! j’y songeais peu, lorsqu’à trois milles du château je vis venir à moi une triste procession, des paysans gémissant et hurlant comme font nos Irlandais, le cheval noir mené en laisse, et, sur une porte dont on avait fait une civière, mon pauvre cher, cher petit garçon. Il était là, gisant dans ses petites bottes à éperons et dans son petit habit écarlate et or. Sa chère face était toute blanche, et il sourit en me tendant la main, et dit péniblement : « Vous ne me donnerez pas le fouet, n’est-ce pas, papa ? » Je ne pus que fondre en larmes pour toute réponse. J’ai vu mourir bien des gens, et il y a dans les yeux un regard sur lequel on ne peut se méprendre. Il y avait un petit tambour que j’aimais, qui fut atteint, devant ma compagnie, à Kühnersdorf ; quand j’accourus lui donner de l’eau, il avait exactement le même air qu’avait maintenant mon cher Bryan : il n’y a pas à se tromper sur cette terrible expression des yeux. Nous le portâmes à la maison et cherchâmes partout des médecins pour examiner sa blessure.

Mais à quoi sert un médecin dans une lutte avec le sombre, l’invincible ennemi ? Ceux qui vinrent ne purent que confirmer notre désespoir par le rapport qu’ils firent sur l’état du pauvre enfant. Il avait monté vaillamment son cheval, s’était tenu en selle avec intrépidité, en dépit de tous les plongeons et de toutes les ruades de l’animal, et, ayant dompté son premier mauvais vouloir, il lui fit sauter une haie au bord de la route. Mais il y avait au milieu un amas de pierres, et le pied du cheval se prit dedans, et lui et son beau petit cavalier roulèrent ensemble par-dessus. Les témoins dirent avoir vu le noble petit garçon se relever soudain après sa chute, et courir après le cheval qui s’était enfui après lui avoir donné un coup de pied dans le dos, à ce qu’on crut voir, tandis qu’ils étaient par terre. Le pauvre Bryan courut quelques pas, et puis tomba comme frappé d’une balle. Son