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elle-même (mistress Barry de Lyndon, comme s’appelait à présent la bonne âme par compliment pour ma nouvelle famille) était tout à fait incapable de le tenir en bride, et vous pouvez vous figurer d’après cela quelle volonté il avait. Sans cela, il serait probablement encore en vie ; il pourrait… mais à quoi bon se lamenter ? N’est-il pas dans un lieu meilleur ? L’héritage d’un mendiant lui serait-il d’aucune utilité ? La chose est mieux comme elle est ! Que le ciel soit bon pour nous ! Hélas ! faut-il que moi, son père, je sois resté pour le pleurer !

C’était au mois d’octobre que j’avais été à Dublin pour voir un homme de loi et un capitaliste, qui étaient venus en Irlande pour se consulter avec moi au sujet de ventes que j’avais à faire et de la coupe des bois de Hackton, dont, tant parce que je détestais l’endroit que parce que j’avais grand besoin d’argent, j’étais déterminé à abattre jusqu’au dernier arbre. La chose avait présenté quelques difficultés. On disait que je n’avais pas le droit d’y toucher. Ces brutes de paysans autour du domaine en étaient venus à un tel degré d’animosité contre moi, que les gredins refusaient littéralement d’employer leurs cognées contre les arbres, et que mon agent (ce gueux de Larkins) déclara que sa vie était en danger parmi eux s’il tentait davantage de dilapider, comme ils disaient, la propriété. Tout notre magnifique mobilier avait été vendu à cette époque, je n’ai pas besoin de le dire, et, quant à la vaisselle plate, j’avais pris grand soin de l’emporter en Irlande, où elle était dans les meilleures mains possibles, celles de mon banquier, qui avait avancé dessus six mille livres, somme dont j’eus bientôt besoin.

J’allai donc à Dublin pour y rencontrer ces hommes d’affaires anglais, et je réussis si bien à persuader M. Splint, grand constructeur de vaisseaux et marchand de bois de construction de Plymouth, de mes droits sur le bois de Hackton, qu’il convint de me l’acheter à vue de nez environ un tiers de sa valeur, et il me remit cinq mille livres, qu’étant alors accablé de dettes je fus bien forcé d’accepter. Il n’eut pas, lui, de difficulté à abattre le bois, je vous en réponds. Il prit un régiment de charpentiers et scieurs de long de ses chantiers et de ceux du roi à Plymouth, et, en deux mois, le parc de Hackton fut aussi dénué d’arbres que le marais d’Allen.

Cette maudite expédition me porta malheur. Je perdis la plus grande partie de mon argent au jeu en deux nuits chez Daly, en sorte que je me trouvai juste aussi endetté que ci-devant, et le vaisseau qui emportait mon vieux filou de marchand de bois n’avait pas fait voile pour Holyhead, que déjà, de l’argent qu’il m’avait