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lait vivre à présent, pour l’amour de la retraite et de la paix domestique dont elle espérait jouir.

Nous partîmes assez subitement pour Bristol, laissant les odieux et ingrats misérables de Hackton nous vilipender sans doute en notre absence. Mes écuries et mes meutes furent vendues immédiatement ; les harpies auraient bien voulu se jeter sur ma personne, mais la chose n’était pas en leur pouvoir. J’avais su, par mon habileté, tirer de mes mines et de mes terres à moi tout ce qu’elles pouvaient rendre, en sorte que les scélérats furent déçus dans cette espérance, et, quant à la vaisselle plate et au mobilier de la maison de Londres, ils n’y pouvaient toucher, vu que c’était la propriété des héritiers de la famille Lyndon.

Je passai donc en Irlande, et fixai pour quelque temps ma résidence à Castle-Lyndon, tout le monde s’imaginant que j’étais entièrement ruiné, et que le fameux et brillant Barry Lyndon ne reparaîtrait plus jamais dans les cercles dont il avait fait l’ornement ; mais il n’en fut pas ainsi. Au milieu de mes perplexités, la fortune me réservait encore une grande consolation. Il arriva des dépêches d’Amérique annonçant la défaite, par lord Cornwallis, du général Gates dans la Caroline, et la mort de lord Bullingdon, qui était présent comme volontaire.

Quant à mes propres désirs de posséder un piètre titre irlandais, ils n’étaient pas bien vifs. Mon fils maintenant héritait d’une comté anglaise, et je lui fis prendre sur-le-champ le titre de lord vicomte Castle-Lyndon, le troisième des titres de la famille. Ma mère faillit devenir folle de joie en saluant son petit-fils de « milord, » et je me sentis payé de toutes mes souffrances et privations quand je vis cet amour d’enfant parvenu à un tel poste d’honneur.



CHAPITRE XIX.

Conclusion.


Si le monde ne se composait pas d’une race de misérables ingrats, qui prennent leur part de votre prospérité tant qu’elle existe, et même, tout gorgés de votre venaison et de votre vin de Bourgogne, médisent du généreux amphitryon, je suis sûr