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couronne. Quant à nous ôter votre appui, vous êtes parfaitement bienvenu à vous transporter, vous et votre vote, partout où il vous plaira. Et maintenant, comme j’ai beaucoup d’occupations, peut-être voudrez-vous me faire la faveur de vous retirer. » À ces mots il leva sa main nonchalamment vers la sonnette et me congédia avec un salut, me demandant d’un ton doucereux s’il était quelque autre chose au monde en quoi il me pût obliger.

Je rentrai chez moi dans une fureur impossible à décrire, et ayant lord Crabs à dîner ce jour-là, je me vengeai de Sa Seigneurie en lui arrachant sa perruque, l’étouffant avec, et l’attaquant dans cette partie de sa personne qui, selon la rumeur publique, avait déjà été assaillie par Sa Majesté. Toute l’histoire courait la ville le lendemain, et les clubs et magasins d’estampes étaient tapissés de gravures me représentant dans l’opération ci-dessus mentionnée. Ce fut à qui rirait du lord et de l’Irlandais, et je n’ai pas besoin de dire que les originaux des deux portraits furent reconnus. Quant à moi, j’étais un des personnages les plus célèbres de Londres à cette époque, ma toilette, mon style et mes équipages étant aussi connus que ceux d’aucun chef de la fashion, et ma popularité, si elle n’était pas grande dans la plus haute classe, était, du moins, considérable ailleurs. Le peuple m’acclama dans les Gordon-Rows, alors qu’il tuait presque mon ami Twitcher et brûlait la maison de lord Mansfield. Dans le fait, j’étais connu comme zélé protestant, et, après ma querelle avec lord North, je passai droit dans l’opposition, et le vexai par tous les moyens qui étaient en mon pouvoir.

Ils n’étaient malheureusement pas très-grands, car je parlais mal, et la Chambre ne voulait pas m’écouter ; bientôt même, en 1780, après les troubles de Gordon, elle fut dissoute et une élection générale eut lieu. Cela m’arriva, comme m’arrivaient toutes mes mésaventures, à un moment bien inopportun. Je fus obligé de me procurer encore plus d’argent, aux taux les plus coûteux, pour faire face à cette maudite élection, et j’eus contre moi les Tiptoff, plus actifs et plus virulents que jamais.

Le sang me bout même aujourd’hui quand je songe à l’atroce conduite de mes ennemis dans cette infâme élection. On me fit passer pour une Barbe-Bleue irlandaise, on imprima contre moi des libelles et de grossières caricatures qui me représentaient fouettant lady Lyndon, cravachant lord Bullingdon, le mettant à la porte par une tempête, et je ne sais quoi. Il y avait des estampes d’une pauvre cabane d’Irlande, d’où l’on prétendait que je venais ; d’autres où j’étais représenté comme un laquais