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tournure et un pied charmant, me ruinait en diamants, équipages et mémoires de tapissier ; ajoutez à cela que j’avais une mauvaise veine au jeu et que j’étais forcé, pour faire face à mes pertes, de me soumettre aux plus honteuses exigences des usuriers, de mettre en gage les diamants de lady Lyndon (cette maudite petite Rosemont m’en soutira quelques-uns), et de recourir à mille autres moyens de battre monnaie. Mais quand l’honneur est en jeu, m’a-t-on jamais vu sourd à son appel ? et quel homme peut dire que Barry Lyndon ait perdu un pari sans le payer ?

Quant à mes espérances ambitieuses au sujet de la pairie irlandaise, je commençai, à mon retour, à trouver que j’avais terriblement fait fausse route, grâce à ce gredin de lord Crabs, qui aimait fort à prendre mon argent, mais n’avait pas plus le crédit de m’avoir une couronne nobiliaire que de me procurer la tiare du pape. Le roi ne fut pas du tout plus gracieux pour moi, à mon retour du continent, qu’il ne l’avait été avant mon départ, et je sus d’un des aides de camp des ducs, ses frères, que ma conduite et les distractions que j’avais prises à Paris avaient été présentées sous un jour odieux par des espions là-bas, et avaient été l’objet d’augustes commentaires, et que Sa Majesté, influencée par ces calomnies, avait positivement dit que j’étais l’homme le plus taré des trois royaumes. Moi, taré ! Moi, un déshonneur pour mon nom et mon pays ! Quand j’appris ces faussetés, je fus dans une telle rage que j’allai tout aussitôt trouver lord North pour lui faire des représentations, pour demander instamment qu’il me fût permis de paraître devant le roi et de me laver des imputations dirigées contre moi, d’exposer les services que j’avais rendus au gouvernement en votant pour lui, et m’informer quand la récompense qui m’avait été promise, à savoir le titre porté par mes ancêtres, serait rétabli en ma personne.

Ce gros lord North était d’une froideur somnolente qui avait, plus que toute autre chose, irrité l’opposition contre lui. Il m’avait écouté les yeux à demi fermés. Quand j’eus fini un long et violent discours que je fis, en arpentant sa chambre de Downing-street, et en gesticulant avec toute l’énergie d’un Irlandais, il ouvrit un œil, sourit et, me demanda doucement si c’était tout. Sur ma réponse affirmative, il dit : « Eh bien, monsieur Barry, je vous répondrai point par point. Le roi a une répugnance excessive à faire des pairs, comme vous savez. Vos droits, comme vous les appelez, ont été mis sous ses yeux, et la gracieuse réplique de Sa Majesté a été que vous étiez l’homme le plus impudent de ses États, et méritiez une corde plutôt qu’une