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Majesté contre les rebelles d’Amérique. Votre Majesté désire-t-elle que j’envoie à son aide un autre régiment ? » Là-dessus le roi tourna sur ses talons, et je me retirai en saluant. Quand lady Lyndon alla au baise-main chez la reine, j’appris que la même question précisément avait été adressée à Sa Seigneurie, et elle revint tout agitée de l’affront qui lui avait été fait. Voilà comme on récompensait mon dévouement et de quel œil on envisageait mes sacrifices en faveur de mon pays ! J’emmenai brusquement ma maison à Paris, où je reçus un accueil fort différent ; mais mon séjour au milieu des plaisirs enchanteurs de cette capitale fut extrêmement court, car le gouvernement français qui, depuis longtemps, favorisait sous main les rebelles d’Amérique, venait de reconnaître ouvertement l’indépendance des États-Unis. Il s’ensuivit une déclaration de guerre ; nous tous, heureux Anglais, nous fûmes renvoyés de Paris, et je crois que j’y laissai une ou deux belles dames inconsolables. C’est le seul endroit où un gentilhomme puisse vivre comme il lui plaît, sans être incommodé de sa femme. La comtesse et moi, durant le séjour que nous y fîmes, nous nous vîmes à peine, excepté dans les occasions publiques, à Versailles ou au jeu de la reine, et notre cher petit Bryan acquit mille perfections élégantes qui le rendirent les délices de tous ceux qui le connaissaient.

Je ne dois pas oublier de mentionner ici ma dernière entrevue avec mon bon oncle, le chevalier de Ballybarry, que j’avais laissé à Bruxelles avec la ferme intention de faire son salut, et qui s’y était retiré dans un couvent. Depuis lors il était rentré dans le monde, à son grand ennui et repentir, étant tombé amoureux fou, sur ses vieux jours, d’une actrice française qui avait fait comme la plupart des dames de cette espèce, l’avait ruiné, l’avait planté là et s’était moqué de lui. Son repentir était vraiment édifiant. Sous la direction de MM. du collège irlandais, il avait tourné de nouveau ses pensées vers la religion, et la seule prière qu’il m’adressa, quand je le vis et lui demandai en quoi je pouvais l’assister, fut de faire une belle donation au couvent où il se proposait d’entrer.

Ceci, comme de raison, je ne le pouvais faire, mes principes religieux m’interdisant d’encourager la superstition d’aucune manière ; et le vieux gentilhomme et moi nous nous séparâmes assez froidement, en conséquence de mon refus d’assurer, comme il dit, le bien-être de ses vieux jours.

J’étais fort pauvre à cette époque, voilà le fait ; et, entre nous, la Rosemont de l’Opéra français, danseuse médiocre, mais une