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temps que j’aurai l’honneur de porter ce nom de Lyndon, dont il est indigne, mais la nature honteuse de sa conduite envers Votre Seigneurie, sa brutalité et ses procédés de rustre envers vous, ses infidélités patentes, ses extravagantes dépenses, son ivrognerie, ses impudentes escroqueries et filouteries de ma fortune et de la vôtre. Ce sont ces insultes envers vous qui me choquent et me révoltent plus que l’infâme conduite de ce chenapan à mon égard. J’aurais voulu rester auprès de Votre Seigneurie, comme je l’avais promis, mais vous paraissez dans ces derniers temps avoir pris le parti de votre mari ; et comme je ne puis châtier personnellement l’ignoble chenapan qui, cela soit dit à notre honte, est l’époux de ma mère, que je ne puis supporter d’être témoin de la façon dont il vous traite, et que son affreuse société me fait plus d’horreur que la peste, je suis décidé à quitter mon pays natal, du moins tout le temps de sa vie abhorrée ou de la mienne. Je tiens de mon père une petite rente, que, je n’en doute pas, M. Barry m’escroquera s’il peut, mais que Votre Seigneurie m’adjugera peut-être, s’il lui reste au cœur quelques sentiments maternels. MM. Childs, les banquiers, peuvent avoir l’ordre de me la payer quand elle sera due ; s’ils ne reçoivent pas cet ordre, je ne serai nullement surpris, sachant que vous êtes dans les mains d’un scélérat qui ne se ferait pas scrupule de voler sur le grand chemin, et je chercherai à trouver quelque moyen de vivre plus honorable que celui par lequel ce mendiant d’aventurier irlandais est parvenu à me dépouiller de mes droits et à me chasser de chez ma mère. »

Cette extravagante épître était signée « Bullingdon, » et tous les voisins jurèrent que j’avais eu connaissance de sa fuite, et que je la mettrais à profit ; quoique je déclare sur mon honneur qu’à la lecture de cette infâme lettre, mon vrai et sincère désir était d’en tenir l’auteur sous ma main, afin de lui faire savoir ce que je pensais de lui. Mais il n’y avait pas moyen d’ôter de l’esprit des gens que je voulais tuer Bullingdon, tandis que le goût du sang, comme j’ai dit, n’a jamais été un de mes défauts ; et, quand même j’aurais eu d’aussi mauvaises intentions contre mon jeune ennemi la simple prudence m’aurait mis l’âme en repos, puisque je savais qu’il courait de lui-même à sa perte.

Nous fûmes longtemps avant de savoir ce qu’était devenu cet audacieux petit vagabond ; mais, au bout d’une quinzaine de mois, j’eus le plaisir d’être à même de réfuter les accusations calomnieuses d’assassinat qui avaient été portées contre moi, en produisant une traite signée de la propre main de Bullingdon, et datée de l’armée du général Tarleton, en Amérique, où ma