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haine envers moi prit une intensité tout à fait horrible à penser (et que, je vous en réponds, je rendis avec les intérêts) ; et ce fut à l’âge de seize ans, je pense, que l’impudent jeune pendard, à mon retour du parlement, un été, quand je voulus le bâtonner comme d’habitude, me donna à entendre qu’il ne souffrirait plus de moi aucun châtiment semblable, et dit, en grinçant des dents, qu’il me brûlerait la cervelle si je levais la main sur lui. Je le regardai ; il était devenu, dans le fait, un grand jeune homme, et je renonçai à cette partie nécessaire de son éducation.

Ce fut vers ce temps que je levai la compagnie qui devait servir en Amérique ; et mes ennemis dans le pays (depuis ma victoire sur les Tiptoff, je n’ai pas besoin de dire que j’en avais beaucoup) commencèrent à faire courir les bruits les plus honteux sur ma conduite envers ce précieux garnement, mon beau-fils, et à insinuer que je voulais tout à fait me débarrasser de lui. Ainsi, mon dévouement à mon souverain fut transformé en une infâme tentative de ma part contre la vie de Bullingdon ; et il fut dit que j’avais levé ce corps destiné à l’Amérique, dans le seul but d’en donner le commandement au jeune vicomte, et de me défaire ainsi de lui. Je ne suis pas bien sûr qu’on n’ait pas désigné l’homme de la compagnie qui avait ordre de l’expédier à la première action générale, et la somme que je lui avais donnée pour ce service délicat.

Mais la vérité est que mon opinion alors (et, quoique l’accomplissement de ma prédiction ait été retardé, je ne fais pas de doute qu’elle ne se réalise bientôt) était que milord Bullingdon n’avait pas besoin de mon aide pour aller dans l’autre monde, et qu’il en saurait heureusement bien trouver le chemin de lui-même. Le fait est qu’il en prit la route de bonne heure ; de tous les violents, audacieux, désobéissants garnements qui avaient fait de la peine à un affectionné père, il était certes le plus incorrigible ; il n’y avait pas à le battre, à l’amadouer, à l’apprivoiser.

Par exemple, à propos de mon petit Bryan, quand son gouverneur l’amenait dans la salle où nous étions à boire après dîner, milord commençait à me lancer ses violents et irrespectueux sarcasmes. « Cher enfant, disait-il en se mettant à le choyer et à le caresser, quel dommage pour toi que je ne sois pas mort ! Les Lyndon alors auraient un plus digne représentant, et tout le bénéfice de l’illustre sang des Barry de Barryogue ; n’est-il pas vrai, monsieur Barry-Lyndon ? »

Il ne manquait pas de choisir les jours où il y avait du