Page:Thackeray - Mémoires de Barry Lyndon.djvu/261

Cette page a été validée par deux contributeurs.

tère hargneux de ce garçon, quand j’aurai cité un trait qui le concerne. On m’a reproché de lui avoir refusé l’éducation qui convient à un gentilhomme, et de ne l’avoir jamais envoyé au collège ou à l’école ; mais le fait est que s’il n’y alla point, ce fut de son propre choix. Je le lui proposai à plusieurs reprises (dans mon désir de voir le moins possible son impudence), mais il me refusa autant de fois ; et, pendant tout le temps, je ne pouvais deviner quel était le charme qui le retenait dans une maison où il devait être loin d’être agréablement.

Je finis, toutefois, par le découvrir. Il y avait de très-fréquentes disputes entre milady Lyndon et moi, dans lesquelles c’était tantôt l’un, tantôt l’autre, qui avait tort, et qui, comme aucun de nous n’avait un caractère fort angélique, allaient ordinairement très-loin. J’étais souvent dans les vignes du Seigneur ; et, dans cet état, quel gentilhomme est maître de lui ? Peut-être, étant ainsi, ai-je pu traiter milady un peu rudement, lui jeter un verre ou deux à la tête, et l’appeler de noms peu complimenteurs. Je peux l’avoir menacée de la tuer (ce qu’évidemment il n’aurait pas été de mon intérêt de faire), et l’avoir, en un mot, effrayée considérablement.

Après une de ces disputes, dans laquelle elle s’enfuit en criant dans les corridors, et moi, gris comme un lord, je courus en trébuchant après elle, il paraît que Bullingdon fut attiré hors de sa chambre par ce bruit. Comme je l’avais rejointe, l’audacieux gredin profita de ce que je n’étais pas très-solide pour me donner un croc-en-jambe ; et, saisissant dans ses bras sa mère, qui se pâmait, il l’emporta chez lui, où, sur ses instances, il lui promit de ne jamais quitter la maison tant qu’elle vivrait avec moi. Je ne savais rien de ce vœu, ni même de la facétie d’homme ivre qui y avait donné lieu ; je fus emporté glorieux, comme nous disons, par mes domestiques, et me mis au lit, et le lendemain matin je n’avais pas plus de souvenir de ce qui était arrivé que de ce qui avait pu se passer quand j’étais à la mamelle. Lady Lyndon me raconta le fait des années après ; et je le cite ici, parce qu’il me permet de me justifier honorablement d’une des plus absurdes imputations de cruauté soulevées contre moi au sujet de mon beau-fils. Que mes détracteurs excusent, s’ils l’osent, la conduite d’un abominable brigand qui donne un croc-en-jambe à son tuteur naturel et beau-père après dîner.

Cette circonstance servit à rapprocher pour un peu de temps la mère et le fils, mais leurs caractères étaient trop différents. Je crois qu’elle m’aimait trop pour jamais lui permettre de se réconcilier sincèrement avec elle. À mesure qu’il devenait homme, sa