Page:Thackeray - Mémoires de Barry Lyndon.djvu/26

Cette page a été validée par deux contributeurs.

mettrait par ses éternelles coquetteries avec les officiers, et refusai longtemps d’aller à ce bal. Mais elle avait une manière de venir à bout de moi, contre laquelle toute résistance de ma part était vaine. Elle jura que la voiture la rendait toujours malade. « Et comment puis-je aller au bal, dit-elle, à moins que vous ne me preniez en croupe sur Daisy ? » Daisy était une bonne jument de race appartenant à mon oncle, et, à une proposition pareille, impossible de dire non. Nous nous rendîmes donc à cheval, sains et saufs, à Kilwangan, et je me sentis aussi fier qu’aucun prince lorsqu’elle promit de danser avec moi une gigue.

Quand la gigue fut finie, l’ingrate petite coquette me dit qu’elle avait tout à fait oublié son engagement, et se mit à danser la contredanse avec un Anglais ! J’ai enduré des tourments dans ma vie, mais jamais comme celui-là. Elle essaya de se faire pardonner sa négligence, mais je ne voulus pas. Quelques-unes des plus jolies filles s’offraient pour me consoler, car j’étais le meilleur danseur du bal. J’essayai une fois, mais j’étais trop malheureux pour continuer, et je restai seul toute la nuit au supplice. J’aurais bien joué, mais je n’avais pas d’argent, je n’avais que la pièce d’or que ma mère m’avait enjoint d’avoir toujours dans ma bourse, comme le doit un gentilhomme. Je ne me souciais pas de boire, et ne connaissais point cette terrible consolation ; mais je songeais à tuer Nora et moi, et très-certainement à me défaire du capitaine Quin.

Enfin, au matin, le bal finit. Le reste de nos dames s’en alla dans le vieux carrosse criard ; Daisy fut amenée, et miss Nora prit place derrière moi, ce que je la laissai faire sans dire une parole. Mais nous n’avions pas fait un demi-mille, qu’elle commença à essayer, par ses câlineries et ses gracieusetés, de dissiper ma mauvaise humeur.

« Il fait un froid pénétrant, cher Redmond, et vous vous enrhumerez sans mouchoir à votre cou. » À cette remarque sympathique du coussinet, la selle ne fit aucune réponse.

« Avez-vous passé une soirée agréable avec miss Clancy, Redmond ? Vous êtes restés ensemble toute la nuit, à ce que j’ai vu. » À ceci la selle ne répliqua qu’en grinçant des dents, et en donnant un coup de fouet à Daisy.

« Oh ! miséricorde ! vous faites ruer Daisy, sans-souci que vous êtes, et vous savez, Redmond, que je suis si peureuse ! » Le coussinet, là-dessus, avait passé son bras autour de la taille de la selle, peut-être même l’avait pressée le plus légèrement du monde.

« Je déteste miss Clancy, vous le savez bien ! » répond la selle ;