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Castle-Lyndon, un élève de la Trinité, qui avait une meute et buvait ses deux bouteilles par jour.

L’intérêt que je prenais à l’orthodoxie du jeune garçon ne me permit pas d’hésiter sur la conduite que je devais tenir envers lui. Si j’ai un principe qui m’ait guidé dans la vie, ç’a été le respect pour la religion établie, et un mépris profond et une horreur cordiale pour toute autre forme de croyance. J’envoyai donc mon domestique français en 17… à Dublin, avec la commission de ramener le jeune réprouvé ; et le compte qui me fut rendu fut qu’il avait passé la dernière soirée de son séjour en Irlande avec son cher papiste, à l’église ; que ma mère et lui avaient eu, ce même dernier jour, une violente querelle ; qu’au contraire, il avait embrassé Biddy et Dosy, ses deux nièces, qui semblaient très-peinées qu’il partît ; et qu’étant pressé d’aller rendre visite au recteur, il avait formellement refusé, disant que c’était un méchant vieux pharisien chez qui il ne mettrait jamais le pied. Le docteur m’écrivit une lettre pour me mettre en garde contre les déplorables erreurs de ce rejeton d’iniquité, comme il l’appelait, et je pus voir qu’il n’y avait pas d’affection perdue entre eux. Mais il paraissait que, s’il n’était pas agréable aux gens comme il faut du pays, le jeune Bullingdon jouissait d’une grande popularité parmi les gens du commun. Il y eut une véritable foule pleurant autour de la porte, lorsque sa voiture partit. Des vingtaines de ces ignorants et sauvages misérables l’accompagnèrent en courant, à plusieurs milles de distance, et plusieurs même allèrent jusqu’à s’éclipser avant son départ, et paraître au Pigeon-house, à Dublin, pour lui dire un dernier adieu. Ce fut avec beaucoup de peine qu’on empêcha quelques-uns de ces hommes de se cacher dans le bâtiment, et de suivre leur jeune seigneur en Angleterre.

Pour rendre justice au jeune garnement, lorsqu’il arriva parmi nous, c’était un garçon à l’air viril et noble, et tout dans son maintien et dans son extérieur annonçait le sang distingué d’où il était sorti. C’était l’image même de quelques-uns de ces bruns cavaliers de la race des Lyndon, dont les portraits étaient dans la galerie de Hackton, où il aimait à passer la plus grande partie de son temps, occupé des vieux livres moisis qu’il prenait dans la bibliothèque, et dans lesquels je déteste de voir s’absorber un jeune homme de cœur. Toujours, dans ma compagnie, il observait le plus rigoureux silence, et avait une attitude hautaine et dédaigneuse qui était d’autant plus désagréable, qu’il n’y avait rien dans sa conduite qui pût me donner prise, quoiqu’elle fût arrogante au suprême degré. Sa mère était très-agitée