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le vieux gentleman, car j’ai reçu tant de marques de bienveillance de la famille Hackton, que cela me saigne le cœur de me séparer d’elle. Mes pauvres, j’en ai peur, pourront souffrir de cette séparation et de l’impossibilité où je vais être désormais de vous faire savoir quand ils seront dans la détresse ou dans l’affliction ; car, lorsque vous en aviez connaissance, je vous dois la justice de dire que votre générosité fut toujours prompte à les soulager. »

Il pouvait bien y avoir là quelque chose de vrai, car le vieillard était toujours là à m’assiéger de demandes, et, je, le sais de source certaine, par suite de ses propres charités, était souvent sans un schelling dans sa poche ; mais je soupçonne les bons dîners de Hackton d’avoir eu une part considérable dans ses regrets de la rupture de notre intimité, et je sais que sa femme était désolée de renoncer à ses accointances avec la gouvernante de Bryan, Mlle Louison, qui savait sur le bout du doigt toutes les modes françaises les plus nouvelles, et qui n’allait jamais au rectorat, que vous ne vissiez les filles de la maison paraître en robes ou mantes neuves, le dimanche d’après.

Je punissais le vieux rebelle en ronflant très-fort dans mon banc les dimanches pendant le sermon ; et je pris un gouverneur pour Bryan, et un chapelain à moi, lorsque l’enfant devint d’âge à être séparé de la société et de la tutelle des femmes. Je mariai sa bonne anglaise à mon jardinier en chef, avec une belle dot ; je donnai sa gouvernante française à mon fidèle Allemand, Fritz, sans oublier la dot dans ce dernier cas, et ils ouvrirent un restaurant français dans Soho, et je crois qu’au moment où j’écris, ils sont plus riches, quant à ce qui est des biens de ce monde, que leur généreux et libéral maître.

Pour Bryan, j’avais fait venir un jeune homme d’Oxford, le révérend Edmund Lavender, qui fut chargé de lui enseigner le latin, quand l’enfant était en humeur de l’apprendre, et de lui donner les premiers éléments de l’histoire, de la grammaire et de ce que doit savoir un gentilhomme. Lavender était une précieuse acquisition pour notre société à Hackton. Il y répandait beaucoup de gaieté. Il était le point de mire de toutes nos plaisanteries, et il les supportait avec la patience la plus admirable, en vrai martyr. C’était un de ces gens qui aimeraient mieux recevoir des coups de pied d’un grand que de ne pas en être remarqué ; j’ai souvent jeté sa perruque au feu devant la compagnie, et il était le premier à en rire. C’était un plaisir de le mettre sur un cheval fougueux et de le lancer après les chiens,